vendredi 18 septembre 2009

Une chiquenaude russe très bavarde…

Il a beaucoup de pays où l’on picole, mais l’alcoolisme russe atteint de niveaux vraiment effrayants.
Un homme russe sur trois, une femme russe sur sept sont alcooliques…
Les Russes connaissant deux formes d’alcoolisme. A l’alcoolisme festif, mondain, de soirées (très) arrosées entre amis que l’on trouve partout, s’ajoute un alcoolisme spécifique et solitaire qui consiste à s’acheter la quantité de vodka nécessaire à prendre un cuite, à s’installer dans un coin, à l’écart, et de boire sans autre forme de procès jusqu’à ne pouvoir se relever.

Des études récentes et nombreuses permettent de rendre compte de ce phénomène malheureusement profondément ancré dans la mentalité russe et qui a traversé l’époque communiste sans faiblir. Les riches boivent vodka et cognac, les pauvres boivent des alcools frelatés, du liquide de freins, de l’antigel, du dissolvant, de l’eau de cologne… n’importe quoi.
Mais c’est aussi dans un certain nombre de gestes ou de traditions que l’on mesure le mieux le poids de l’alcool dans la culture russe.

On pourrait citer la tradition des toasts évidemment, assortis d’un dicton qui veut que toute bouteille de vodka entamée doive être terminée ; mais c’est autre histoire, très curieuse, parce qu’elle mêle la grande Histoire et l’alcoolisme, que j’ai rapportée de Russie. Je n’en avais jamais entendu parler dans l’émigration.

Lorsque les Russes contemporains évoquent l’alcool ou l’alcoolisme sans prononcer le mot, ils font volontiers un geste bizarre qui consiste à incliner le tête sur le côté en la levant et à se donner une ou deux chiquenaudes avec l’index, sous le menton.

Interrogés sur la signification étrange de ce geste, voici l’histoire qu’ils m’ont racontée :

Sous le Tsar Pierre le Grand, celui-ci, pour récompenser un certain nombre de ses loyaux serviteurs, leur avait offert un gobelet aux armes impériales qui leur donnait le droit d’entrer dans n’importe quelle auberge de l’empire et de s’y faire servir à volonté et gratuitement de la vodka, sur présentation de ce gobelet, qui en était alors dûment rempli... Sauf, qu’évidemment, vu l’état lamentable dans lequel ils finissaient par se retrouver, ils perdaient le gobelet en question ou se le faisaient voler, bref, la tsar imagina un système plus simple.
Les serviteurs méritants se verraient désormais apposer un coup de tampon encré aux armes du tsar sur le haut du cou, sous le menton. Ainsi, les heureux récipiendaires, en pénétrant dans une auberge levaient-ils la tête et l’inclinaient de côté pour découvrir la marque et la montraient de l’index à l’aubergiste pour attirer son attention.

Et la tradition s’est maintenue depuis le XVIII e siècle. Si vous rencontrez un Russe qui, tout à coup, au cours de la conversation fait ce geste d’un œil égrillard, ne vous y trompez pas, c’est picoler, qu’il veut...

C’est tout au moins l’histoire qui m’a été racontée. Si certains ont des précisions, je suis preneur.

11 commentaires:

  1. C'est également la version que j'ai entendue.
    Précisons que pendant longtemps, le SEAU de vodka a été une unité de compte servant a établir la fiscalité dans les villages. Chaque foyer devait un certain nombre de seaux de vodka aux agents du fisc... ce qui encourageait la fabrication maison, si tant est qu'il y ait eu besoin d'encouragements... De par son monopole sur la vente de vodka, l'Etat russe est entièrement responsable de ce fléau qu'est l'alcoolisme.

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  2. Ah, oui, Arunah, bonjour,j'avais oublié cela, le coup du seau de vodka...

    Il faudrait tout de même, tant qu'on y est, donner quelques règles d'or pour la boire cette vodka :
    Jamais mélangée à un jus de fruit ou une autre horreur de ce genre. Toujours pure, très glacée (refroidie au congélateur, elle n'y gèlera pas), en petites quantités à la fois et cul sec. Si elle brûle la gorge, c'est qu'elle n'est pas assez froide.
    La consommation associée de cornichons malossols (accessoirement d'autres zakouskis) est très fortement recommandée.

    Il est déconseillé de changer de boisson alcoolisée au cours du repas...

    Les Russes vous diront évidemment le contraire, mais je crois bien que la vodka la meilleure est polonaise, et j'ai une préférence pour celle à l'herbe de bison (Zoubrovka).

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  3. Depuis que je sais que l'herbe de bison est celle sur laquelle les bisons aiment faire leur pas si petit pipi, j'ai migré vers la Grey Goose... Pas de bisons en Charentes... Et puis maintenant que la Gironde produit du caviar de qualité internationale, la France a atteint l'autosuffisance alimentaire pour les produits de base, vodka et caviar, pour les pommes de terre aussi d'ailleurs ce qui devrait satisfaire les ayatollahs du kissel.

    Pour des tranches de vie ravageuses et post-soviétiques, connaissez-vous "Dernières nouvelles du bourbier" d'Alexandre Ikonnikov, Éditions de l'Olivier/Seuil 2003. L'ouvrage a fait un tabac à Paris où un libraire de Montmartre a fait TOUTE sa vitrine avec le recueil, ce qui a produit un effet boule de neige. Bien entendu, la vodka y occupe une place de choix...

    Mais tout de même en temps de crise, une Stolitchnaia ou une Moskovskaia des familles ont fait leurs preuves, l'une contenant un peu de sucre et l'autre du bicarbonate ce qui les différencie de certaines vodkas assez proches de l'alcool à brûler. Mais tout de même, j'ai une tendresse pour la vodka au miel..., non pas avec les poissons fumés bien sûr ! D'ailleurs, une fois qu'on a goûté au couple vodka glacée/poisson fumé, on ne peut plus boire de vin blanc avec le saumon fumé...

    Du temps de l'URSS, il existait à Moscou un dessoûloir pour femmes de 40 places, pour les hommes, bien sûr, la chose pouvait se faire dans tous les commissariats... Je me demande ce qu'il en est maintenant... Un point positif : beaucoup d'étudiants ne boivent pas du tout et n'ont jamais touché une goutte d'alcool ce qui peut paraître excessif - peut-on faire confiance à un Russe qui ne boit pas ? - mais augure bien de l'avenir. Mais tout de même, on peut s'interroger sur les relations des Russes et de l'alcool : lorsque Gorbatchev a voulu supprimer l'alcool, c'est tout le système qui s'est effondré... ce qui renvoie à l'inoubliable "Le communisme est-il soluble dans l'alcool ?"

    Pour des raisons obscures - un doigt qui a rippé - il y a eu une inversion de paragraphes, les effets de la vodka probablement...

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  4. Ah, non, je ne connais pas les "Dernières nouvelles du bourbier". Il va falloir que je me les procure.
    Pour l'herbe des bison, je vous rassure, une fois trempée dans la vodka elle est totalement anesthésiée et désinfectée !

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  5. Non disponible sur Amazon, ou alors en anglais en août 2010 sous le titre "Taïga Blues" ( l'édition originale est en allemand, même titre )
    Disponible sur chapitre.com neuf ou d'occasion à 13 euro. Hautement recommandable de même que "Lizka et ses hommes", mais ce n'est pas de la littérature pour se détendre, c'est post-soviétique, c'est à dire que les aspects les plus noirs de la nature humaine sont décuplés par les contingences soviétiques...
    Exemple : une vachère ayant abusé de vodka donne un coup de hache à son mari et lui sectionne la jambe. On emmène le bonhomme et la jambe à l'hôpital qui ne peut rien faire si ce n'est une couture et refuse la jambe qui doit être déposée à la morgue où on demande également le cadavre. Le problème, c'est que le cadavre est encore vivant. Mais sans cadavre, on ne peut pas prendre la jambe et l'employé claque la porte au nez. Ce qu'il advient de la jambe, je vous laisse le découvrir, mais je suis sûre qu'il s'agit d'un cas réel et non de fiction. Un auteur même talentueux ne peut pas inventer ce genre de réplique, c'est du pur jus soviétique... 180 pages suffocantes...

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  6. Sto lat! Sto lat!Niech zyje zyje nam

    D.F

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  7. Où est passé mon commentaire sur la vachère et la jambe ? A-t-il été censuré ?

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  8. Désolé, je n'étais pas réveillé...

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  9. Bonjour Léon,

    Je vous communique ce très intéressant document infographique concernant la consommation d'alcool par les Russes : http://fr.rian.ru/img/123215255_free.html

    Vous y noterez la part conséquent du vin (Géorgien? Moldave? Français? l'étude ne le précise pas). Selon une étude commandée par Vinexpo, la consommation du vin en Russie devrait croître et si les projections se confirment la Russie deviendrait le 4ème consommateur de vin au monde!

    Chez les jeunes, les alcools forts sont en nette perte de vitesse. En revanche, une partie de la jeunesse se rattrape avec une surconsommation de bière... Tel est le fruit de mes observations sur le terrain.

    Une légende court en Russie comme quoi les Rus' se seraient convertis plus facilement au christianisme qu'à l'islam ou au judaïsme parce que ces dernières religions prohibaient l'alcool. N'y aurait-il pas comme un accent de vérité partielle quant à cette explication? ^^

    Cordialement

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  10. Intéressant document effectivement. Quant à l'alcool chez les Juifs, à ma connaissance il n'est pas interdit. En revanche l'interdiction du cochon a dû peser lourd...

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  11. Bonjour Léon,

    En fait c'est un peu plus compliqué que cela : l'alcool chez les juifs croyants est autorisé... à condition qu'il soit kasher (nécessitant la présence d'un rabbin lors des phases du processus d'élaboration pour qu'il conserve toute sa "pureté").

    A ce propos, peu le savent mais il existait autrefois jouxtant le territoire sud des Rus' un immense empire Juif : les Khazars. C'est pourquoi lorsque Vladimir décida de se convertir (très certainement plus pour des raisons politiques que religieuses), il aurait pu tout aussi bien embrasser le judaïsme. C'est très intéressant d'ailleurs de constater que la conversion du paganisme au christianisme fut le contraire de ce qui s'effectua chez les Francs : en Russie ce furent les élites qui convertirent le peuple et abattirent les idoles) tandis qu'en Gaule post-romaine ce fut Clovis qui embrassa la religion de ses sujets et l'imposa à ses fidèles.

    Cordialement

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