mercredi 28 octobre 2009

Mon Boulat à moi...



Le problème d’être d’une double culture, comme moi, c’est que l’une aimerait parfois transmettre quelque chose à l’autre et se trouve dans une très grande difficulté de le faire .

Depuis longtemps j’ai envie de faire un billet sur Boulat Okoudjava. Mais voilà le cas de quelqu’un de célébrissime chez les Russes et qui, en dehors des slavisants, est totalement inconnu en France.
Et comment donner une idée de ce qu’il était et de qui il était ? Et surtout donner une idée de son art ?
On peut bien sûr s’en tenir à des données factuelles. Ou au moins commencer par cela.

C’est un écrivain, poète, né à Moscou en 1924 et mort à Paris en 1997 au cours d’une de ses tournées qui est devenu célèbre surtout à partir du moment où il s’est mis à écrire des chansons et les chanter.
Il est aussi connu en Russie que Piaf ou Brassens en France, auquel d’ailleurs on l’a, un peu à tort, comparé. Il y a en particulier une gravité, voire une tristesse, chez Okoudjava que l’on ne trouve que rarement chez Brassens. Il a fait partie de la vague de poètes de ces années-là, mal vus par le régime, comme Vissostski, Vozniessensky, Brodsky ou Evtouchenko.

Brassens et Okoudjava avaient en commun d'être d’assez piètres chanteurs mais des poètes exceptionnels utilisant un langue d’un classicisme tout à fait remarquable, agrémentée de quelques expressions populaires ou même d’argot.
On est loin, chez Okoudjava, de la langue bizarre et très soviétique de Vissotski. C’est d’ailleurs une raison importante pour laquelle le premier a été immédiatement adopté et adulé par l’immigration russe en France, contrairement au deuxième qui n’a vraiment été connu qu’à l’occasion de son histoire avec Marina Vlady.

Mais la poésie russe est irréductible à la poésie française. Pour de très nombreuses raisons.

Certaines tiennent évidemment à la langue, à sa musicalité. Mais aussi à sa concision et sa densité.
Là où le russe aligne trois mots « Gorié ot ouma » (Горе от ума ), titre d’une célèbre pièce de Griboiédov, le français est obligé d’en aligner sept : « Le malheur d’avoir trop d’esprit ».

La poésie, cause ou conséquence de sa vitalité y est aussi un art populaire, très populaire, on n’imagine pas à quel point : les Russes connaissent des pages et des pages par cœur de Pouchkine, Lermontov ou Essenine. Il ne s’agit pas de quelques lettrés, comme en France, mais des Russes ordinaires, Monsieur et Madame tout-le-monde.
Il n’y a aucun autre endroit dans le monde, je crois, où une foule peut remplir une salle de la taille d’un Zénith pour venir y écouter un type réciter seul sur scène des poèmes pendant deux heures et recevoir une standing ovation à la fin comme c’était par exemple le cas à chaque prestation d’Evtouchenko. C’est juste pour situer le contexte…

Alors Okoudjava, pourquoi donc est-il si russe ? et pourquoi si difficile à transmettre à ceux qui ne le sont pas ? et pourquoi a-t-on tellement envie de le leur transmettre malgré tout ?
Que c’est difficile à dire !...

Que les Russes de l’époque de la glaciation brejnévienne l’apprécient, cela peut se comprendre. Il leur apportait des interrogations sur l’homme, la morale, la foi , l’amour, l’amitié : que des préoccupations petites-bourgeoises en quelque sorte, qui lui ont valu son exclusion de l’Union de écrivains malgré son immense succès.
Il touchait les Russes dans des dimensions qui leur étaient devenues interdites, mais surtout il atteignait une profondeur universelle à travers son humanisme, son amour du peuple, son pacifisme.
Il y a, dans chaque phrase chez Okoudjava, une justesse dans la formulation qui émeut, qui blesse presque.

Alors, quelle (s) chanson (s) choisir ?
J’ai bien du mal...

Voici cette chanson qui parle de ce dernier trolley de minuit, qui ramasse un peu toutes les âmes à la dérive de la ville, que je trouve vraiment typique de sa manière . ( Il récite ensuite un poème consacré à Pouchkine que les non russophones évidemment couperont, puis chante une chanson sur un thème proche de l'Auvergnat de Brassens.) On remarquera qu'il joue d'une guitare russe, à sept cordes, accordée à vide sur un open de sol majeur (ré si sol ré si sol ré)

Le dernier trolley

Quand je suis impuissant à vaincre le malheur,
quand le désespoir me guette,
je prends à la course un trolley bleu

le dernier, n'importe lequel.
Trolley de minuit, file par les rues,

fais ta ronde sur les boulevards

pour ramasser tous ceux qui ont fait dans la nuit

naufrage, naufrage.

Trolley de minuit, ouvre-moi ta porte !

Je sais que dans le froid poignant de la nuit
tes passagers, tes matelots
nous prêtent main forte.
Avec eux, plus d'une fois, j'ai fui le malheur,
j'ai senti leurs épaules contre mes épaules...
Ah ! combien il y a de bonté
dans leur silence, leur silence.

Le trolley de minuit vogue à travers Moscou,
Moscou comme un fleuve s'estompe,

et la douleur qui me frappait du bec la tempe

s'apaise, s'apaise.

Et cette très étonnante Prière


Tant que la terre tourne encore,
tant que
la lumière est vive,
Seigneur, donne à chacun
ce qu'il n'a pas:
au sage une tête, au poltron
un cheval,
à l'heureux de l'argent...
Et moi, ne m'oublie pas.


Tant que la terre tourne encore
- Seigneur
c'est en ton pouvoir !
Donne à ceux qui veulent le pouvoir
de régner à loisir,
donne à souffler au généreux,
au moins jusqu'au soir,
à Caïn donne le remords...,
Et moi, ne m'oublie pas.


Je le sais: tu peux tout,
je crois en ta sagesse,
comme un soldat tué croit
vivre en Paradis,
comme chaque oreille croit
à tes doux propos,
comme nous croyons nous-mêmes, ne sachant
ce que nous faisons !


Seigneur, mon Dieu, mon doux Seigneur aux yeux verts !
Tant que tourne encore la terre,
et cela paraît
bien étrange,
tant qu'il reste encore du temps et du feu,
donne à chacun un peu...
Et moi, ne m'oublie pas.


En savoir plus sur Boulat Okoudjava.

dimanche 25 octobre 2009

Quand l’image prétend servir la musique...



Je me demande si on ne peut pas soutenir que le clip a tué la musique populaire…

En effet, c’est une donnée établie depuis longtemps que l’image accapare beaucoup plus l’attention que le son : lorsqu’un mélomane, par exemple, cherche à se concentrer sur la musique, il ferme volontiers les yeux pour ne pas être distrait par la vue...

Lorsque la télévision s’est imposée comme le média principal, on s’est demandé ce que l’on pourrait bien mettre à l’image pour pouvoir passer de la musique de variétés, personne n’imaginant que l’on puisse la diffuser en ne montrant rien...
Il y a eu deux réponses : soit on filmait les musiciens en train de jouer ( en vrai ou, le plus souvent, en play-back), soit on inventait un produit visuel qui était censé accompagner la musique.
Il a d’abord pris la forme rudimentaire du scopitone, puis le clip est apparu, finissant par devenir parfois bien supérieur en invention et en qualité à la musique qu’il accompagnait. Cela s’est fait au détriment de la présence musicale et au prix d'une perte d’attention de l’auditeur à la musique elle-même. C’est, à mon avis, une explication importante du manque d’exigence des jeunes actuels vis à vis des musiques qu’ils écoutent.
En réalité ils les "écoutent" de moins en moins : soient elles sont « regardées », soit elles sont traitées comme un bruit de fond n’exigeant aucune concentration. Et ce qu’ils ont gagné en sens critique et compréhension de l’image, ils l’ont perdu au niveau de la musique.

La première fois que je suis tombé sur ces « animusiques », ces animations 3D figurant des instruments virtuels, j’ai vraiment été bluffé car elles sont une sorte de compromis artistique entre le film de musiciens en train de jouer et la création d’une œuvre graphique originale.
Malheureusement, You tube pour des raisons de droits a été obligé de les enlever aussi je ne puis vous les montrer ce qui enlève tout intérêt à la fin de cet article, désolé ! 

En voici une. La musique ne casse pas trois pattes à un canard, mais je trouve le principe intéressant. Plus on est dans l'abstraction, mieux cela fonctionne, me semble-t-il.



En voici une autre

Et encore
une autre