mardi 16 juin 2009
"As slow as possible" de John Cage
Depuis le 5 septembre 2001 se déroule, dans la cathédrale de Halberstadt en Allemagne, le concert le plus long et le plus loufoque du monde.
On y joue l'œuvre du compositeur américain John Cage baptisée Organ2/ASLSP sur un orgue en construction. Cette partition assez courte sur le papier (4 feuilles A4) est la version « longue » d’un partition prévue à l'origine pour piano, de 20mn. Mais quand on vous dit longue, c’est longue : 639 ans exactement, et nécessitera donc un assez grand nombre de générations de musiciens pour être jouée.
« Jouée », d’ailleurs, est un grand mot car le musicien n’intervient qu’à chaque événement prévu dans la partition, le reste du temps ce sont des poids qui maintiennent les touches enfoncées.
Les distances entre ces modifications sont à ce point considérables que c’est à chaque fois l’occasion d’un événement mondain ou des gogos (qui paient, en plus…) se pressent pour venir assister à cette arnaque artistique.
Ainsi, à ce concert qui a débuté le 5 septembre 2001 à minuit pile devant une foule compacte, on a vu des techniciens s’affairer, on a entendu le bruit de la soufflerie de l’orgue… et rien d’autre : en effet le facétieux compositeur fait débuter son œuvre par un silence de 17 mois...
Par la suite, voici les « événements » qui se sont succédés : le 5 fevrier 2003 un premier accord de trois notes (sol #, si, sol # à l’octave) a été joué ; il a duré jusqu’au 5 juillet 2005, rejoint en juillet 2004 par deux mi à un octave d’intervalle qui dureront jusqu’au 5 mai 2006. Le 5 janvier 2006 un bel accord comportant un la, un do et un fa # a été ajouté, un accord composé d’un la bémol et d’un do a été joué le 5 juillet 2008, le do a disparu le 5 novembre 2008 et un nouvel accord comportant un ré et un mi a été introduit le 5 février de cette année 2009. La prochaine modification aura lieu le 5 juillet 2010 avec la disparition du mi…
On trouve le début de la partition ( jusqu’en 2013) sur le site de la ville. Pour y lire les dates ( en rouge) il faut à la fois agrandir l’image et la regarder de loin.
En lisant ces informations, je me suis dit qu’il avait une convergence des arts post-modernes. Entre un tableau entièrement blanc et une autre œuvre du même Cage où le chef d’orchestre donne le départ d’un morceau qui n’est que du silence, il y a une similitude évidemment. Mais ce « As slow as possible » c’est encore autre chose et la preuve de la spécificité de la musique qui a comme « matière » le temps, la durée. L’esthétique musicale a longtemps fonctionné sur la mémoire, aussi la version longue de cette œuvre ne peut pas être juste la même que la courte en (beaucoup) plus long. La mémoire, là, est matérielle, c’est la partition, la relation des « modifications » de la partition par ceux qui en parlent.
Que peut nous apprendre une œuvre pareille ? A quoi nous invite-t-elle à réfléchir ?
Peut-être à la mémoire, et à son devoir. Probablement à l’immensité du temps et à la finitude humaine. Un peu comme ce "silence glacé des espaces infinis", ce vertige dans lequel nous plonge l’espace/ temps des astrophysiciens.
A moins que l’on ne soit touché, au contraire, par l’inanité des œuvres humaines (on pense à ces pins plantés dans les Landes par Louvois, « pour les mâts des voiliers du XXIème siècle »).
En revanche, je ne comprends pas ce que cela apporte à ceux qui se pressent dans cette église à chaque changement de note. Ceux qui y viennent commettent probablement une erreur : l’œuvre n’est pas dans ce qui est produit mais dans l’idée qu’en a eu le compositeur. De la même manière, ceux qui se déplacent pour aller voir un tableau blanc sont des idiots ou des snobs : il suffit de savoir qu’il existe.Tout le monde sait ce qu’est du blanc ou du silence.
Sauf que, paradoxalement, là, il n’est plus question de silence : il faut comprendre que, au contraire, lorsque les notes sont jouées c’est pour des années, sans interruption. Tant que l’on en reste à trois sons sur des petits tuyaux, seuls les voisins immédiats peuvent trouver cela un tantinet fatiguant ; mais lorsque, comme cela est prévu, cet orgue sera équipé de tuyaux allant jusqu’à cinq mètres de long et qu’il crachera nuit et jour le tonnerre, il est peu probable que les habitants de cette petite ville le supporteront longtemps...
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À trop se vouloir hermetique et réservé à un hapy few si réduit qu'il se veut hors l'humain...
RépondreSupprimerLe Tout ou le Rien accède alors au rang d'oeuvre d'art par la simple volonté d'un hurluberlu qui se proclame au delà ou ailleurs ...
Il est bon de voir en fin l'avènement d'une ère qui saura reconnaître quel grand artiste je suis. Et je n'ai pas fini de "non produire"
Doantien
Divin marquis, ta non-production est si aboutie et si foisonnante qu'elle emplit l'espace artistique d'un grand cri de douleur muette.
RépondreSupprimerC'est un peu ça, Philippe.
RépondreSupprimerMais quand même, le principe de ce morceau n'est-il pas troublant ?
Je cherche un équivalent visuel : par exemple un peintre qui ferait un tableau que l'on ne pourrait voir que de la lune ou d'un satellite artificiel ?
RépondreSupprimerLe principe est troublant, en effet. Mais fait-on de l'art avec un principe ?
RépondreSupprimerC'est de la même nature qu'un auteur qui invente un mot: le mot est intéressant ou pas, mais pas l'invention en elle-même.
Non, je suis d'accord. Fondamentalement, pour moi, on ne fait pas d'art avec des principes. C'est de l'art conceptuel, c'est-à-dire la négation de l'artisan, du "faber" celui qui fait, qui travaille la matière, dimension, pour moi, indissociable de l'artiste !
RépondreSupprimer...mais ce que je trouve le plus troublant dans cette histoire, c'est que la démarche est inverse : au lieu de laisser sur le papier l'idée d'une œuvre de 639 ans... on décide de la jouer réellement.
RépondreSupprimerY a-t-il des harmoniques de ses notes silencieuses?
RépondreSupprimerParce que j'en joue à fond en ce moment.
Donatien
Tu as raison, Léon: ce qui était un concept, une idée, peut-être intéressante, ne peut devenir un moment d'art (surtout vu sa durée) par une exécution.
RépondreSupprimerQuestion subsidiaire: si un participant (on n'ose dire exécutant) se trompe d'une note, d'une seconde, d'un jour ou d'une année, on rejoue toute l'œuvre ?
Tu sais bien que ce genre de musiciens ne se trompent jamais !
RépondreSupprimer"Biissss "
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