dimanche 21 juin 2009
Enigmes pourpres
Comme tout le monde je suppose, il m’est arrivé de tomber, dans mon enfance, sur des énigmes dont la solution ne m’a été connue que beaucoup plus tard.
Je me souviens ainsi d'une phrase de mon livre d’histoire de CM2 qui expliquait que la Marseillaise avait été composée par "un officier du génie" du nom de Rouget de Lisle. De longues années, avant d’apprendre que « le génie » désignait aussi au sein des armées les gens chargés des constructions et aménagements de terrain, je me suis perdu en conjectures, me demandant bien ce que ce soldat et son œuvre avaient de si génial, la Marseillaise ne me semblant pas mériter un tel qualificatif. Et je n’osais pas poser la question à mes maîtres de peur de commettre un blasphème…
Une autre énigme, celle dont il va être question ici, n’a trouvé sa réponse qu’assez tard.
J’ai eu la chance de faire du latin de la sixième à la terminale et à ce titre j’avais avec mes camarades des cours nombreux sur la Rome antique. Et j’ai toujours été intrigué par cette couleur pourpre dont les Romains semblaient si friands mais qui était utilisée avec une telle parcimonie que les toges des sénateurs en avaient juste une bande. Pourquoi cette couleur et pas une autre, et qu’avait-elle donc de si particulier pour que Néron, dans sa folie, eût décidé de la réserver à son usage exclusif sous peine de mort ?
Je connais désormais les deux réponses à cette énigme venue du fond de mes humanités.
1. La teinture pourpre de l’antiquité qui est en réalité un ensemble de couleurs allant du rose au violet suivant les variétés de coquillages et les procédés de teinture ( la couleur la plus recherchée étant un rouge profond ) était la seule teinture stable pour tissu de l’antiquité, ne « passant » pas, ni au soleil ni aux lavages. Elle s’enrichissait même, avec le temps, de teintes nouvelles, plus profondes et plus lumineuses.
2. A cette propriété exceptionnelle s’ajoutait le coût exorbitant de la matière qui était, il faut le savoir, la plus précieuse de l’Antiquité, bien plus que l’or, l’argent ou quelque pierre que ce soit. La raison en est simple, d’après les calculs du chimiste Fiedlander il fallait environ dix mille murex pour obtenir un gramme de teinture pure. Et avec un gramme on ne devait pas pouvoir teindre une surface bien grande… La main d’œuvre servile était certes bon marché mais tout de même, entre le ramassage, le travail minutieux pour en extraire la partie utile, puis la macération et les autres opérations nécessaires à la teinture, on comprend mieux pourquoi, lorsque Alexandre le Grand s’empare de Suze et y trouve cinq mille quintaux de teinture pourpre d’Hermion accumulée là depuis un siècle, il met la main sur le plus fabuleux trésor que l’on puisse imaginer dans l’antiquité…
D'après la plupart des historiens ce sont les Phéniciens qui auraient découvert le procédé. Cela est contesté par d'autres qui leur reconnaissent la diffusion commerciale dans toute la Méditerranée, mais pas l’invention qu’ils attribuent aux Egéens. Certaines cités, Tyr notamment étaient célèbres pour leur habileté.
On n’a pas retrouvé tous les secrets des teinturiers antiques mais fondamentalement les opérations principales sont les suivantes : il faut casser la coquille du murex et en extraire la partie qui contient la glande dite « hypobranchiale ». C’est une petite bande d’environ deux centimètres de long sur cinq millimètres de large et de moins d’un millimètre d’épaisseur. C’est elle qui sécrète un mucus contenant ce que l’on appelle les « précurseurs » de la pourpre qui sont, comme pour l’indigo, d’abord incolores. Ces glandes sont laissées plusieurs jours à une température d’une quarantaine de degrés dans un milieu alcalin à base d’urine et d’autres ingrédients. Les tissus sont ensuite trempés dans ces bains et exposés à l’air pour que la couleur se développe.
Ces activités dégageaient une puanteur épouvantable…Mais elles étaient si rentables que de multiples contrefaçons ont circulé tout au long de l’antiquité.
A force de ramasser des murex, l’espèce s’est raréfiée et de nouveaux procédés, moins chers, furent découverts (cochenille, particulièrement…).
Il ne me restait plus qu'un mystère à percer, son genre : c’est le pourpre ou la pourpre ?
La réponse est la suivante : le pourpre c'est la couleur, et la pourpre c'est la matière qui permet de produire cette couleur...
Ah, j'oubliais, dernière bizarrerie, "pourpre" est une exception : en tant que qualificatif de couleur se rapportant à celle d'un objet(comme marron par exemple), il n'est pas invariable et s'accorde au pluriel : "les toges pourpres des empereurs...."
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Que l'on revête Léon de la pourpre des blogeurs.Et que son apothéose bien que méritée n'advienne qu'un peu plus tard ...
RépondreSupprimerBin oui on n'est pas pressé
J'ajouterais que réduire la valeur à la seule notion de quantité de travail/ rareté est bien trop limité. Une constante psychologique universelle fait de ce rouge profond le symbole et l'attribut du pouvoir lié à la puissance sexuelle.
RépondreSupprimerJe me souviens d'une marque de{{sous-vetements masculins}} qui a frappé les esprits avec une campagne de Pub et son fameux rouge amour que le journal hara kiri avait judicieusement exploité
Combien de dames furent déçues par le leurre d'appel sexuel du slip de Super Man oubliant l'interconicité avec la soutane des évêques
Pourtant, les empereurs de Byzance, nés dans la pourpre, semblaient utiliser cette couleur avec libéralité. Mais il est vrai qu'à cette époque Rome devait déjà s'être dotée de lois somptuaires, réglementant très sévèrement les abus de la parure.
RépondreSupprimerIl est tout-à-fait passionnant de suivre l'engouement pour différentes couleurs à différentes époques : dans l'Antiquité la couleur la plus prisée était donc le pourpre/rouge porté par la royauté et les élites. C'était la couleur dominante à Byzance et ce goût a perduré en Orient et dans l'Orthodoxie. Dans la Russie ancienne, rouge était synonyme de beau, d'où la Place Rouge, c'est à dire, la belle place, la grand'place.
Dans l'Occident latin, au Moyen Âge peu à peu, le bleu s'est substitué au rouge, le bleu étant la couleur du Royaume Céleste, progressivement les artistes ont peint le manteau de la Vierge en bleu, jusqu'à ce qu'Hugues Capet le décrète couleur royale. A partir de ce moment le triomphe du bleu ne faisait plus de doute: bleu de Chartres, bleu de France, bleu royal... entres autres. Ce qui a assuré la fortune des producteurs de pastel. Plus tard, l'introduction de l'indigo en Europe a confirmé l'engouement pour le bleu ( bleu de Nîmes omniprésent et drapeau de l'Union européenne ). Le bleu est maintenant la couleur préférée des Occidentaux tandis que le rouge occupe la première place en Orient et en Asie.
Diable, Camille, du leurre d'appel sexuel et de l'intericonicité, pas de ça chez moi ! Manquerait plus qu'un peu de métonymie...
RépondreSupprimerBonjour Arunah !
RépondreSupprimerEffectivement l'histoire des couleurs est passionnante, non seulement sur le plan symbolique, mais aussi sur le plan technique.
Bonjour Léon !
RépondreSupprimerMais, comment, un jour, quelqu'un a-t-il eu l'idée de trifouiller un murex pour teindre un tissu ? Peut-on imaginer qu'au fil des millénaires, toutes les substances animales et végétales aient été testés systématiquement dans un chaudron ?
( tests que réalisent les labos sur toutes les molécules disponibles )
De même pour les vers à soie ! Quelle démarche !
Et quels résultats !
Parfois, mais parfois seulement, l'appartenance à l'espèce humaine nous remplit d fierté...
Pour le murex, j'ai le souvenir d'avoir cassé de petits coquillages aux Canaries pour me servir du mollusque comme appât pour la pêche : j'ai eu les doigts violets pendant plusieurs jours.
RépondreSupprimerJe suppose que beaucoup de découvertes se font ainsi, par hasard...
L'empirisme des origines de la civilisation peut laisser sans voix d'admiration. Quelle accumulation , toutes ces expériences, ces pertes, ces oublis et ces nouveaux essais. Mais ...le vrai saut arrive avec la mémoire transmise le lent et patient tricot dont ton article est une maille..
RépondreSupprimerMerci, Léon, pour cette monographie passionnante.
RépondreSupprimerLe mot "pourpre" n'est plus souvent utilisé pour désigner une couleur; à noter toutefois son utilisation courante en botanique pour qualifier une espèce: ainsi pour mes copines les orchidées a-t-on l'orchis pourpre (Orchis purpurea) ou l’epipactis (Epipactis purpurata).
C'est vrai mais cette couleur est bel et bien répertoriée sous les n°informatiques 9EOE4O pour le rouge profond et 965578 pour le pourpre violacé.
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerEuh, c'étaient des tentatives d'introduire un lien dans un commentaire. Il semble que cela soit impossible...
RépondreSupprimerOn peut faire un lien vers ce message mais pas à partir de ce message vers ailleurs.
RépondreSupprimerMal foutu, ça...
RépondreSupprimerOui, j'ai essayé vainement aussi...
RépondreSupprimerBien, le cas du murex est réglé !
RépondreSupprimerMais quid de la soie ? Un cocon serait-il tombé du mûrier dans un bol de soupe lors d'un repas en plein air ou dans une tasse de thé lors d'un pique-nique ?
euh... pourquoi mes messages sont-ils dotés d'une petite corbeille alors que les autres ne le sont pas ? Est-ce parce le système répond toujours " votre message n'a pu être traité, veuillez réessayer " ?
RépondreSupprimerLes commentaires que j'ai sous les yeux ont tous une corbeille. A quel moment avez-vous ce message ?
RépondreSupprimerSur mon écran, seuls mes messages ont une corbeille...
RépondreSupprimerDès que je clique sur "Publier un commentaire",
RépondreSupprimervotre demande n'a pu être traitée, veuillez réessayer
Pourtant votre message apparaît bien, je ne comprends pas...
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