
L’adoration dont est l’objet la chanteuse Oum Kalsoum dans tout le monde arabe, même plus de trente ans après sa mort, est inimaginable. Réellement inimaginable…
Pourquoi j’y pense aujourd’hui ? Je ne sais. Peut-être à cause des manifestations que les marchands de soupe préparent pour l’enterrement de Michael Jackson qui m’ont rappelé a contrario la ferveur populaire et spontanée qui a entouré la mort de la Diva….
Considérée dans cette culture comme la plus grande chanteuse et musicienne de tous les temps, Oum Kalsoum a reçu les surnoms les plus extravagants : « Astre de l’Orient », « Diva du monde arabe » « Rossignol d’Egypte », « Quatrième pyramide »…. On allait à ses concerts comme à un pèlerinage et l’on pouvait mesurer la fascination qu’elle exerçait tous les premiers jeudis du mois, à partir de l’année 1937, de novembre à juin, où elle donnait (en direct, évidemment) un concert de deux heures à la radio égyptienne. Selon les témoignages dont on dispose, tout le Moyen Orient, tout le Maghreb qui pouvait capter cette radio s’arrêtait de respirer, les rues se vidaient, la circulation se raréfiait, plus aucune activité n’avait lieu : toute la population s’agglutinait autour de postes de radio pour l’écouter.
Les seuls récitals qu’elle donna en 1967 en France à l’Olympia devant un public presque exclusivement musulman donnèrent lieu à des scènes d’exaltation collective stupéfiantes rapportées par les journalistes de l’époque qui découvraient avec étonnement le phénomène.
C’est à son enterrement que l’on mesura le mieux l’adulation dont elle était l’objet. On a estimé le nombre de personne présentes au Caire, dans le cortège de ses funérailles, à près de trois millions, à peine moins que pour le décès de Nasser. Les Cairotes en pleurs, littéralement traumatisés, se sont emparés de force de son cercueil dans le cortège officiel et l’ont promené des heures durant dans tous les lieux du Caire qu’elle aimait jusqu’à une mosquée où un imam a fini par persuader la foule de la laisser désormais reposer en paix.
Il est très rare de trouver dans l’Histoire une artiste qui fasse à ce point l’unanimité, aussi bien parmi le public qu’au sein des meilleurs musiciens et spécialistes de la musique qu’elle pratiquait (la musique arabe dite « classique » ).
Je veux dire par là que même si une partie de sa popularité tient à des considérations extra-musicales, ( son nationalisme, sa modernité, son investissement caritatif) aucune discussion n’est possible sur son immense talent. Aucune. Et le qualificatif « d’immense » semble faible.
Aussi j’éprouve une frustration immense à être totalement incapable de le percevoir...
J’ai beau visionner des vidéos d’elle, me renseigner, écouter, essayer de lire des traductions en anglais de ses textes, je constate sans le comprendre ce que les arabes appellent le « tarab », cette communion entre le public et la chanteuse, où celle-ci est poussée par lui dans de longues improvisations ( par exemple, les concerts de l’Olympia : six heures, mais seulement trois chansons !).
Sa voix était probablement très puissante si j’en juge par la quasi absence d’amplification lors de ses concerts. La Callas elle-même trouvait sa voix de contralto et mezzo-soprano « incomparable » pour sa flexibilité et sa capacité à chanter des phrases musicales d’une extrême subtilité.
Ne comprenant pas l’arabe, il m’est impossible d’adhérer aux textes et à l’expressivité qu’elle y mettait, ce qui semble, si j’en juge par les commentaires des spécialistes, la clé de son talent. Ses chansons, écrites par de grands poètes arabes, parlaient d’amour, de la patrie, de religion… Et impossible de trouver la moindre traduction en français sur internet.
Hélas, la musique, contrairement à beaucoup de lieux communs, n’est pas universelle. Et pour moi, être incapable d’apprécier celle d’Oum Kalsoum, restera pour toujours une grande frustration…
Pourtant, on aurait envie...