samedi 8 mai 2010

Love is all : histoire d’un clip mythique

L’intérêt d’un site comme Deezer, c’est d’y rechercher un vieux truc qu’on a eu (ou pas) en vinyle, dont on peut avoir oublié le nom de l’interprète et le titre, et qui ne reste dans votre mémoire que sous forme d’une mélodie parfois très vague.
Il s’agit en général d’une chanson qui a été un « one shot », un tube qui n’a eu aucune suite pour son interprète. Par exemple « Voyage voyage  » de Desirless, véritable OVNI dans la chanson française ou « Sympathy » de Rare Bird parmi des centaines d’autres.
Je passe, ainsi, parfois des heures à essayer de retrouver tel ou tel titre de ce genre qui a jalonné ma jeunesse et j’ai fini par retrouver d’abord la musique, puis le clip de ce mythique « Love is all » dont tous ceux qui ont plus de trente ans se souviendront certainement.
La musique est tirée d’un album baptisé Butterfly Ball, produit par Roger Glover, (le bassiste de Deep Purple), qui s’est entouré pour l’occasion de quelques guest stars au nombre desquelles Ronnie James Dio qui chante la chanson et du pianiste Eddie Hardin, co-compositeur de l’album. Cette musique est associée à un dessin animé qui a fait sa célébrité : des animaux qui chantent dans un village féerique avec une grenouille-guitariste en soliste.





Au départ, il y avait eu un projet d’adaptation en dessin animé d’un conte pour enfants d’un certain Alan Aldridge, « The butterfly ball and the grasshoper’s feast ». Il s’agissait d’un long métrage de 90mn. Hélas l’entreprise qui devait le réaliser a fait faillite, si bien que le projet n’a jamais vu le jour. Mais la musique avait été terminée et l’album, sous le nom de « The Butterfly ball » est sorti en 1974.
Un seul titre, Love is all, avait été animé, comme test, pilote, élément de démonstration et est resté ainsi sous forme d’un clip magnifique.

Il est devenu mythique pour bien des raisons : d’abord ses indéniables qualités formelles, avec un dessin très coloré rappelant les ambiances gaies et psychédéliques des années 1970 et une musique à la fois riche et soignée, très inspirée des Beatles et de leur humour, ( une référence à Yellow Submarine  ?).

Mais surtout ce qui a beaucoup contribué à son succès en France, c’est qu’il a longtemps été utilisé à la télévision pour faire patienter les spectateurs en cas d’incident ou de panne, remplaçant le vieillot « Interlude » et son petit train. Son apparition à l’écran était donc totalement aléatoire et imprévisible, au grand bonheur des téléspectateurs qui en oubliaient volontiers l’incident qui avait déclenché sa diffusion.

J’aimerais bien savoir qui, à l’ORTF de l’époque, a eu cette idée géniale, mais mes recherches n’ont pas abouti. Si quelqu’un le sait, qu’il me le dise. Si cette personne est encore en vie je me fendrai d’une lettre de remerciements au nom de toute une génération de téléspectateurs...

Ce titre a été utilisé pour une publicité en faveur d’un sirop, le « Sironimo » et repris avec un autre dessin animé, à base d’images de synthèse, cette fois, sous le titre  Florabelle et la mushroom family. (Sympa aussi à voir...)

Eh,oui, on savait faire de la bonne musique populaire, en ce temps-là !
Le texte et sa traduction.

vendredi 23 avril 2010

Quand passent les cigognes

Je ne sais si je dois remercier Arunah de m’avoir rappelé cette chanson bouleversante que j'avais cru entendre dans le célebrissime film soviétique « Quand passent les cigognes ».
Certaines d'entre elles, par l'effet d'une magie inexplicable, sont capables de fédérer et cristalliser l'émotion de tout un peuple autour d'un malheur commun. Ici, il s'agit  des  morts, de l’hécatombe subie au cours de la 2e guerre mondiale.

 Il faut rappeler à quel point la population soviétique a été touchée : plus de 26 millions de morts, près de 14 % de le population (par comparaison l’Allemagne 10,5 % ou la France 1, 4 % ). Ce chiffre extravagant est d’ailleurs à l’origine, chez les Russes, d’une certaine incompréhension vis à vis de la shoah et ses « seulement » six millions de morts ( Pourtant proportionnellement encore plus meurtrière, 75% des juifs européens, 40 % des juifs du monde). Il n’y a pas eu une seule famille soviétique qui n’ai été touchée. Dans la mienne un grand-père fusillé par le nazis, un oncle qui repose dans la carcasse d’un sous-marin au fond de la Baltique, pour ne rester que dans la famille la plus proche.
Toute évocation en Russie des morts de la seconde guerre mondiale est terrible, et cette chanson au texte poignant, comme seuls les Russes savent les faire, déclenche chez eux, chaque fois, une très forte  émotion .
Il est à noter que le groupe Serebro (l’argent-métal) l’a reprise à un concours de l’eurovision de 2007 qu’évidemment la puissance de ce texte est totalement passée inaperçue.

Je vais m’essayer à la traduire (j’ai gardé la traduction inexacte de jouravli  en « cigognes », le mot « grues » ayant malheureusement en français un sens argotique inélégant :

Les cigognes 

Il me semble parfois que les soldats
Qui ne sont pas revenus des champs ensanglantés ;
Ne se sont pas couchés en nos terres, un jour,
Mais  sont devenus des cigognes blanches.


Depuis ces temps anciens
Ils volent sans cesse et crient vers nous.
N’est-ce pas pour cette raison que si souvent
En silence, avec tristesse, le ciel nous regardons ?


Elle vole dans le ciel la flèche fatiguée
Dans le brume, à la fuite du jour,
Et dans ce vol il y a un tout petit espace,
Une place pour moi peut-être !


Le jour viendra pour moi, avec le vol de cigognes,
De flotter dans la même brume bleue
En vous appelant, de sous les nuages, dans la langue  des oiseaux,
Vous tous,  que j’aurai laissés sur terre.


Il me semble parfois que les soldats
Qui ne sont pas revenus des champs ensanglantés ;
Ne se sont pas couchés en nos terres un jour,
Mais sont devenus des cigognes blanches...

Voici la très belle version, toute en retenue, du baryton sibérien, Dimitri Khvorostovski




Et celle du groupe "Serebro" qui l'a présentée au concours de l'Eurovision de 2007 et a terminé 3e. A mon avis  ce n'était pas le lieu idéal pour cela...

lundi 29 mars 2010

Lux aurumque

Trouvé sur le blog de Maître Eolas :

Voici le résultat d'une expérience de choeur virtuel réalisé par Eric Whiteacre, musicien, époux de la soprano Hila Pitman.
A noter, toutefois que ce n'est pas la première tentative de faire jouer ensemble, grâce à internet, des musiciens éloignés les uns des autres, parfois de milliers de kilomètres, mais la procédure, ici, compte tenu de la nature de la musique est spécifique.
Ce musicien, compositeur et chef d'orchestre a composé ce morceau spécialement pour cette expérience et, avec l'aide technique de Scott Haines l'a fait enregistrer sur des vidéos par des choristes volontaires.  Il leur a envoyé la partition, puis a mis en ligne une vidéo de sa direction de choeur. Les choristes, chacun dans son coin, se sont enregistrés en suivant la battue et les indications d'expression. Les vidéos de ces choristes envoyées par internet ont été triées, 185 d'entre elles, provenant de12 pays différents ont été sélectionnées, puis finalement mixées.
Et cela donne ceci :


Etonnant, non ?

jeudi 11 mars 2010

La musique dans la tête…

La possibilité qu’ont les musiciens  d’entendre la musique rien qu’en regardant la partition ou en visualisant leur instrument, se révèle particulièrement utile dans de nombreuses circonstances ; en particulier extrêmes, lorsque l’accès aux sons est impossible.

On pense évidemment à des musiciens devenus sourds comme Beethoven.  Et ce qu’il a réussi à écrire ou même à percevoir de l’exécution de ses musiques est proprement stupéfiant, car contrairement à la cécité dont une partie des conséquences peut être atténuée par le développement d’autres sens comme l’ouïe ou le toucher, on n’imagine pas ce qui pourrait compenser la surdité : peut-on imaginer pour la musique quelque chose d’équivalent à la lecture sur les lèvres des sourds et malentendants pour la parole ? Il est probable qu’un pianiste devenu sourd arriverait  dans une certaine mesure à entendre une musique en regardant les mains d’un autre pianiste jouer sur un clavier, mais je ne sais pas si l’on a pu observer cela… D’ailleurs Beethoven a dû finir par renoncer à diriger l’exécution de ses musiques après une multiplication d’erreurs et d’expériences malheureuses. On rapporte ainsi que la première exécution de sa 7e symphonie fuit très chaotique, le Maître s’étant trouvé en avance de plusieurs mesures, plongeant l’orchestre dans une grande pagaille.
J’ai été très surpris d’apprendre également  que même les instrumentistes pouvaient répéter uniquement en lisant la partition, et pas seulement pour la mémoriser semble-t-il. Hélène Grimaud raconte ainsi comment au cours de ses voyages, en avion ou en train, elle « travaille »ses morceaux uniquement à partir de la partition…

Je me souviens aussi du cas de ce pianiste Argentin Miguel Angel Estrella à qui on avait autorisé, (cela se passait dans les années 1980), un clavier muet dans la cellule où il avait été emprisonné en Uruguay à la demande de la junte argentine. J'avais eu une discussion avec d’autres musiciens à ce propos : devait-on le considérer comme une faveur, une mesure  humanitaire vis à vis d’un pianiste virtuose, ou comme une torture psychologique supplémentaire ?
Je me rends compte aujourd’hui, que seul le pianiste lui-même pouvait répondre, et je suppose que cela dépendait de sa capacité à entendre dans sa tête les sons virtuels de son clavier muet….






Photo du clavier muet dont se servait Miguel Angel Estrella en prison.







 A signaler :  Un article très intéressant sur la surdité de Beethoven et sa musique.

jeudi 4 mars 2010

Davaï, davaï, un bonheur russe et tsigane.

"Davaï, davaï", en russe veut dire « allez, allez », « vas-y, vas-y », mais c’est aussi le nom d’un groupe constitué autour de Svetlana Loukine que j’ai eu le bonheur d’aller écouter hier soir à La pleine Lune à Montpellier.
Cet orchestre composé de sept musicien(ne)s se situe dans la continuité de groupes de musiques tsiganes  comme Bratch, au répertoire indéfinissable. C’est un extraordinaire exemple de cet immense estomac tsigane qui absorbe indifféremment toutes les musiques qu’il trouve sur son passage et les régurgite sous une forme et une manière bien caractéristique, utilisant entre autres, le chant choral et l’imprécision comme technique expressive.
Cet orchestre qui comprend une contrebasse électrique, un accordéon, un percussionniste, une violoniste, deux guitaristes et une chanteuse reprend quelques traditionnels de la musique russo-tsigane, pas très connus dans l’ensemble, parfois remarquables ( ah, ce « V dol derevni », cette valse à 5 temps, quel rythme magnifique et peu utilisé ! ) mais, et c’est l’une de ses originalités, propose quelques très belles compositions. « Tikho », par exemple, sur un poème d’Anna Akhmatova..
Ils ont fait un tabac hier, pourtant dans les conditions difficiles d’un café musical. Svetlana Loukine est magnifique de présence sur scène, les musiciens d’un excellent niveau et certains arrangements bien trouvés.Et tout cela dégage une énergie fabuleuse et une joie communicatives.
Franchement, si vous les voyez programmés du côté de chez vous allez-y, vous ne regretterez pas votre soirée.
Et en passant faites la bise à ma petite nièce dont toute la famille est si fière !

samedi 6 février 2010

Ouzbekistan. Les chefs d'oeuvre du désert.







IgorVitaliévitch Savitsky





La première fois que j’ai entendu parler de cette histoire ahurissante... (et tellement russe !) c’est dans le livre d’Erik Orsenna « Voyages aux pays du coton ». Depuis, on a eu quelques articles de journalistes et des témoignages de voyageurs qui par curiosité sont allés y voir.

C’est l’histoire d’un jeune homme nommé Igor Vitaliévitch Savitsky, archéologue de métier et peintre, que sa mauvaise santé dispensa du front de la 2e guerre mondiale et qui, durant le conflit, atterrit et se fixa à Samarkande en Ouzbékistan. À la fin de la Guerre, en plein stalinisme triomphant, Jdanov décrète la mobilisation des artistes à la construction d’un art pour le peuple, et ils sont sommés de renoncer à leurs préoccupations petites-bourgeoises et individualistes : le réalisme socialiste soviétique est né…
Ceux qui n’obéissent pas sont exclus de tout soutien officiel, rentrent en clandestinité… et misère, ils sont même parfois persécutés, exécutés, internés dans des hôpitaux psychiatriques, envoyés au goulag.
D’où va lui venir cette idée saugrenue et courageuse, héroïque même ? nul ne sait – mais Igor Savitsky décide de sauver et cacher ces œuvres devenues maudites. Il cherche un lieu, le plus loin possible du pouvoir central, dans un coin déshérité de l’URSS, qui n’intéresse personne, et finit par trouver en Ouzbekistan une petite ville de province, une sorte de trou du cul de l’URSS, la ville de Noukous, qu’Orsenna décrit ainsi :

« […] quelle force aurait pu m’arracher de Khiva, " la perle des oasis ", pour me conduire à cette horreur de ville que l’on appelle Noukous ? Au milieu du désert, un concentré d’urbanisme soviétique, ce cocktail inimitable d’avenues démesurées, d’immeubles délabrés, de parcs vides que surplombe une grande roue immobile, d’esplanades infinies plantées de statues héroïques… Les alentours sont pires. »

C’est là qu’il va, sur trente ans de recherche obstinée, cacher 7 452 peintures, 25 223 desseins, 1 322 sculptures d’art non autorisé qu’il va recueillir dans toute l’URSS. Véritables enquêtes policières qui le mènent dans des appartements miséreux, des villages sordides… Aux artistes eux-mêmes, à leurs veuves, à leurs enfants il explique son projet et les persuade de lui confier les œuvres afin qu’il les réunisse et les mette à l’abri en attendant des jours meilleurs… Ce n’est qu’en 1966 qu’on finit par le nommer directeur de cet improbable « Musée de Noukous » qui, dans un premier temps ne bénéficie d’aucune notoriété ni de locaux appropriés.

Igor Vitaliévitch Savitsky décède en 1984, à la veille de la perestroïka et sans voir l’aboutissement de son œuvre. C’est son assistante, Marinika Babanazarova, qui va porter à bout de bras ce projet et résister de toutes ses forces aux pillards de toutes sortes qui tenteront de disperser cette collection unique. Pillards qui peuvent aussi bien être des oligarques, des potentats locaux que de grands musées européens...

Ces artistes sont totalement inconnus en dehors des spécialistes, mais les rares photos de ces œuvres que l’on peut voir ici et là sur Internet montrent qu’il s’agit d’œuvres d’art exceptionnelles . Une sorte de « chaînon manquant » peut-être, de l’art du XXe siècle.

En 2002, les autorités, pour le moins ubuesques, de l’Ouzbékistan devenu indépendant ont fini par faire construire une sorte de blockhaus de béton pompeusement baptisé « Musée Savitsky".




Et Marinika Babanazarova continue de résister aux pillards...



Un excellent article de Télérama sur le sujet.

Une galerie de quelques oeuvres du musée.



jeudi 4 février 2010

Les violons du peuple


Mikael Goronok est un fonctionnaire russe qui a un travail hors du commun.
En tant que "Directeur de la collection d'Etat des instruments de musique remarquables', il est chargé de veiller sur près de 400 violons, altos, violoncelles entreposés dans une salle blindée à température et degré hygrométrique constants, située dans les sous-sols d'un immeuble discret.
Il ya de quoi rendre fou un violoniste : des Amati, des Lupot, des Vuillaume en quantité suffisante pour tout un orchestre, douze Garnerius, treize Stradivarius....
Cette collection est constituée, pour l'essentiel d'instruments confisqués à leur propriétaire au moment de la révolution bolchévique. Ils sont donc devenus "propriété du peuple".
Chaque instrument a son histoire : ce Stardivarius appartenait au tsar Alexandre Ier, celui-ci à la famille Youssoupov dont le dernier rejeton, Felix, fut l'un des assassins de Raspoutine, celui-là est une "prise de guerre" ramenée d'Allemagne par l'armée rouge...
De temps à autre un instrument est prêté à un soliste. Mais, en 2009, sous l'impulsion du célébrissime altiste et chef d'orchestre Youri Bashmet (dont nous aurons l'occasion de reparler...), ces instruments ont été montrés au public (auquel ils appartiennent depuis leur "nationalisation"!) et joués à l'occasion d'une série de concerts à travers toute la Russie, jusqu'au fin fond de villes de province.
Youri Bashmet raconte que cela a été l'évènement le plus considérable en Russie depuis l'envoi de Gagarine dans l'espace ; que à Omsk, Ekaterinenbourg, les gens pleuraient de joie et juraient qu'ils raconteraient à leurs petits-enfants en quelles circonstances ils avaient entendu des Stradivarius pour la première fois.
Les voyages de ces instruments, on s'en doute, ont été entourés de plus de précautions encore que s'il s'était agi de chefs d'Etat !

(D'après un article de l'express N° 3053 du 7 au 13 janvier 2010, signé de Axel Gylden avec Alla Chevelkina.)

jeudi 28 janvier 2010

Un chef ?


À plusieurs reprises, j’ai eu des doutes sur l’utilité réelle du chef d’orchestre en musique classique.
Il me semblait que ce type qui gesticulait durant les concerts brassait surtout de l’air, et à part donner le départ et le tempo, je ne voyais pas trop à quoi il pouvait bien servir compte tenu du niveau de professionnalisme des musiciens auxquels il avait affaire.

Je me doutais bien, tout de même qu’il y avait un travail en amont, mais ce n’est que lorsque le hasard d’un job d’été comme interprète-traducteur m’a permis d’assister à des répétitions de l’orchestre du Marinsky ( ex-Kirov) sous la direction de Valery Gerguiev que j’ai compris en quoi son rôle était essentiel.

En réalité le chef dispose d’un tel pouvoir, quasiment absolu sur les musiciens, que c’est lui l’interprète de l’œuvre. Les musiciens ne sont que des exécutants dont la docilité est une qualité au moins aussi essentielle que leur compétence et leur technique musicale. J’ai, par exemple, été impressionné par les « arrêts » du chef d’orchestre pour une raison ou une autre : il n’y pas un musicien qui traîne, l’arrêt est simultané pour tout le monde, quel que soit l’endroit de la musique où le chef fait le geste, au milieu d’une mesure, n’importe où… ce qui montre l’extrême attention des musiciens aux indications du chef. Cela m'a d'ailleurs étonné car il me semblait que les musiciens, l'œil rivé à la partition, ne le voyaient pas vraiment. En les interrogeant, ils m'ont confirmé que j'étais dans l'erreur et que le chef était placé de telle manière qu'ils puissent à la fois regarder leur partition et le voir dans le prolongement de celle-ci.

Comme pour la mise en scène de pièces de théâtre ou opéras, il y des débats sans fin sur les limites acceptables à la liberté d’interprétation des œuvres classiques.

Mais si les partitions modernes sont très chargées en indications, plus on remonte en arrière, moins on en trouve. Avant le XVII e siècle il n’y a rien. On ne pouvait se faire une idée du tempo et du rythme que par quelques indications comme la référence à une danse : bourrée, courante etc… mais aussi par le choix des valeurs attribuées aux notes ( suivant que c’étaient des croches ou des rondes par exemple).
À partir du XVIIe, les compositeurs ajoutent des indications qui deviendront, avec le temps, de plus en plus nombreuses : le tempo (vitesse d’exécution), d’abord par ces qualifications italiennes bien connues qui vont du Largo au Prestissimo, et qui comportent un assez grand éventail de vitesses intermédiaires comme Andantino, par exemple(64-70 à la noire), dont le tempo est situé entre Adagio et Andante. Avec l’invention du métronome les indications de tempo deviennent beaucoup plus rigoureuses et des erreurs célèbres comme celle de « Allegretto » pour ce 2e mouvement de la 7e symphonie de Beethoven, qui a tout d’une marche funèbre, deviennent impossibles.
Les indications de nuances pour le volume apparaissent aussi progressivement à partir du XVIIIe, du pianissimo au fortissimo avec les indications de progressions ; on en trouve aussi pour le phrasé (legato, lié ou stacato, détaché) et la manière d’interpréter le rythme (rubato, sans rigueur, par exemple) ; mais le plus curieux est sans doute ce type d’indication en italien qu’on appelle « de caractère » comme par exemple con brio (avec éclat), ou scherzando (en badinant) ; on en trouve ainsi une bonne cinquantaine en ne comptant que les plus usitées.

Mais même lorsque les partitions sont chargées d’indications de ce genre, d’abord elles ne couvrent pas toutes les possibilités d’interprétations et, ensuite, il n’existe aucune loi qui interdit à un chef d’orchestre de s’en écarter, ou même de ne pas en tenir compte du tout. Seul un compositeur contemporain de l’exécution de son œuvre, au nom de son droit d’auteur, pourrait trouver quelque chose à y redire… Le chef va donc imposer ses propres vues sur la manière d’interpréter une musique, d’abord en habituant l’orchestre à les respecter au cours des répétitions puis en les rappelant par des gestes, les expressions de son corps et de son visage lors de l’exécution du concert.

Le terrain d’intervention probablement le plus important (mais pas le plus évident à percevoir…) est ce que j’appellerai la « couleur » de l’orchestre, d’autant qu’il n’existe, pour le coup, aucune indication sur ce point dans les partitions.
Il faut entendre par « couleur » la manière dont les instruments vont se fondre et se différencier les uns par rapport aux autres.
Une partie très importante du travail de Gerguiev consistait à indiquer à chaque pupitre, voire à chaque ensemble d’instruments, et à chaque passage ( !) comment ils devaient jouer les uns par rapport aux autres : là il jugeait les cuivres trop forts et les violons pas assez, là il ne fallait pas couvrir un trait de clarinette solo etc…

Évidemment, le chef fait recommencer autant de fois qu’il le faut certains passages difficiles, en particulier ceux qui le sont d’un point de vue rythmique.
Il faut ici rappeler que la rythmique en musique concerne la répartition des temps forts (accentués) et des temps faibles, sachant qu’en la matière les combinaisons et les nuances sont absolument infinies et que les instruments ne sont pas tous logés à la même enseigne du point de vue de la précision : celle d’une clarinette ou d’un hautbois est bien moindre que celle d’une trompette ou d’un violon…
Le chef doit donc repérer s’il y a des musiciens qui traînent et alourdissent l’exécution de certaines figures. Quelquefois, il les fait répéter d’abord seuls, puis avec tout l’orchestre. Il doit faire la chasse aux notes qui manquent de justesse et être capable de repérer dans un orchestre de 60 personnes, qui exactement pourrit la justesse ou qui n’est pas bien en rythme.
Pour ce qui concerne Guerguiev ses indications sur les intentions expressives, je dois dire, étaient parfois assez obscures, voire surréalistes et je me demande bien comment les musiciens pouvaient les traduire dans leur jeu… Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, la parole du chef, que l’on n’entend évidemment pas en concert est essentielle au travail des musiciens et probablement plus importante que ses gestes.

Peut-on le comparer à un metteur en scène vis à vis du théâtre ?
Non car, contrairement à lui, il intervient également pendant la représentation.

Les « grands » chefs d’orchestre sont nécessairement des personnalités fortes, mais plus ou moins expressives. Certains sont très calmes, économes de leurs mouvements, d’autres autoritaires, colériques, gesticulant en tous les sens.

Il n’est pas facile de trouver des vidéos où l’on peut voir le chef de face.
En voici une de Mischa Katz, chef que je ne connaissais pas, d’ailleurs. Il dirige d’abord l’ouverture des noces de Figaro, puis de Don Giovanni. On remarquera que, très souvent, il interrompt la battue de la mesure pour préférer les indications d’expression et de nuances.

Il n’y a pas deux chefs d’orchestre qui se comportent de la même manière...




Le rôle et le pouvoir du chef d'orchestre se prêtent a des gags très drôles et je n'ai pas pu résister à cette vidéo :


On lira avec beaucoup d'intérêt les réflexions de Berlioz sur les chefs d'orchestre. Les profanes pourront sauter les passages techniques mais l'ensemble est passionnant.


Et, pour s'amuser...

dimanche 17 janvier 2010

Quelques Baffes de Rachmaninov

Je voudrais reprendre un article sur Rachmaninov , ce compositeur, décidément, se révélant plein de surprises.

Pour des raisons assez obscures, Rachmaninov est un compositeur qui ne faisait pas partie de ma culture musicale classique de base.

Même si, comme tout le monde, je savais que l’indicatif de l’émission « Apostrophes » était un extrait de son concerto pour piano n°1, ( attention, c'est ici une version sans l'orchestre...) c'est « Variations sauvages » le livre d'Hélène Grimaud, qui m’a donné envie de m’y intéresser. Elle y raconte, entre autres, sa passion pour ce compositeur en des termes tout à fait stupéfiants et intrigants. La parole des grands musiciens sur la musique a d'autant plus de valeur qu'elle est rare...

Ce qui me fascine chez ce compositeur, c'est d'une part cette sorte de sauvagerie, très russe, au fond, que l'on trouve dans ses œuvres et, d'autre part, la virtuosité (terrifiante de travail et de contraintes), qu’exige leur exécution. Plus que pour Paganini, encore, ( auquel il a, comme par hasard, rendu hommage en reprenant et développant le thème de son caprice n°24) la virtuosité n'est pas là pour "faire de l'effet", elle est une composante essentielle de la construction originale de sa musique. Certaines de ses œuvres sont de véritables déluges de notes et les performances des pianistes lorsqu'ils les jouent sont hallucinantes.

Le 3e concerto pour piano, par exemple, celui que les musiciens appellent familièrement le « Rach 3 » est considéré, avec le 2e concerto de Prokofiev, comme l’œuvre pour piano la plus difficile à jouer du répertoire. Rachmaninov, lui-même, disait que lorsqu’il le jouait en concert, il était incapable de faire un bis à la fin, tellement il était épuisé physiquement…

On sent bien que c’est une musique qui impose une exigence au-delà de l’humanité ordinaire. Pour le pianiste évidemment, ( c’est sans doute ce qui fascinait Hélène Grimaud), mais aussi (dans une bien moindre mesure, il est vrai) pour l’auditeur. Il n’y a pas à dire, et pour parler familièrement, ce n’est pas une musique pour blaireau…
On est assez près de la musique contemporaine atonale mais, bizarrement très loin également. J'éprouve le sentiment d'être devant un paroxysme de romantisme, plus que devant une quelconque transgression de celui-ci...
Fasciné par ses œuvres, je suis rentré depuis quelques temps dans un véritable tunnel Rachmaninov et pas près d’en sortir. Comment ai-je pu vivre jusqu’ici sans le connaître autrement que de nom ?

J’ai trouvé sur You-Tube un morceau qui est une illustration parfaite et presque caricaturale de la manière de Rachmaninov, l’étude opus 39 n°6. (Elle permet, au passage d’entendre les extraordinaires basses d’un Bösendorfer…) C’est fascinant comment derrière la brutalité du morceau se glissent des moments de grâce harmonique, comme cachés au milieu de la véhémence du reste…


Si on a eu la curiosité d’écouter jusqu’au bout, on appréciera mieux le morceau suivant, l'opus 23 n°5 par la même virtuose ukrainienne Valentina Lisitsa. Morceau presque aussi violent que le précédent, mais beaucoup plus abordable à l'écoute grâce à un thème que l’on retient facilement et qui permet de s’y retrouver.


Il y a parfois des rencontres étranges : le hasard a voulu que je tombe sur ce même morceau illustré par sa partition (Interprété par Richter). Je suis très impressionné par sa beauté formelle, graphique. Elle a quelque chose d'extraordinairement organisé, construit. On apprend beaucoup sur une musique à regarder sa partition, même si l'on ne sait pas la lire. On peut, comme ici, y repérer sa limpidité ou, comme dans les partitions de Mozart la complexité.



Et je propose enfin ceci. Là, un pur bonheur musical, mais qui reste sous une forte tension à cause de cette main gauche ultra-rapide. On se demande comment le pianiste n’a pas cette main paralysée à la fin du morceau…


Je suis frappé par les attitudes physiques semblables de ces deux pianistes qui se lèvent presque de leur siège comme pour se donner ( ou transmettre ?) encore un peu plus d'énergie à leur exécution.

Attention, Rachmaninov= drogue dure...



Mais on peut rire aussi de cette virtuosité imposée : comment un pianiste qui a les mains trop petites pour jouer du Rachamaninov est obligé de se débrouiller....

lundi 21 décembre 2009

"Let it be" revu par les choeurs de la marine russe...



Voici une version pour le moins surprenante de ce tube des Beatles !

mercredi 18 novembre 2009

Le mystère des pianos manquants


Dans les années 70 la France finissait de se couvrir de conservatoires municipaux et la demande en pianos d’occasion était forte. Et tous les marchands et réparateurs de pianos se sont trouvés bizarrement confrontés à une pénurie d’instruments d’occasion à restaurer, en particulier de marques françaises.

Cette situation qui a finalement conduit dans les années 80, pour satisfaire le marché français, à aller chercher des pianos anciens ( et généralement de très mauvaise qualité ) par wagons entiers en Grande Bretagne était, a priori inexplicable…
En effet, avant la 2e guerre, la France était un important producteur de pianos et, outre les très connus Gaveau, Erard et Pleyel, les fabricants étaient nombreux (une trentaine selon un rapide décompte). Cette pénurie était donc était donc tout à fait anormale.

C’est un ancien collègue, Jean-Marie H..., qui m’a fait parvenir un article (malheureusement non sourcé, mais qui semble inspiré par les livres de Willem de Vries) qui donne une explication de ces "pianos manquants " : ils ont, tout simplement été raflés et expédiés en Allemagne par l’occupant nazi.

Pour l’essentiel, il s’agit de biens confisqués aux Juifs et aux franc-maçons, mais pas seulement. Tous les prétextes étaient bons, à commencer par celui des prises de guerre.
Dès 1940 a été crée au sein de l’ERR (EinsatzstabReichsleiter Rosenberg ) un Sonderstab Musik, dirigé par Herbert Gerigk, aux objectifs multiples.
Certains étaient purement idéologiques, faire revenir en Allemagne tout ce qui pouvait concerner des compositeurs allemands, partitions, manuscrits, correspondance etc, mais aussi lutter contre la musique « dégénérée » terme qui concernait aussi bien les compositeurs « modernes » que juifs moins modernes. Mais avec l’instauration de l’Action Meubles qui permettait de confisquer tous les biens meubles, de très importantes saisies de pianos ont eu lieu.

Willem de Vries, l’historien hollandais qui a le plus étudié l’action du Sonderstab Musik en Europe, renonce a faire le décompte exact des pianos ainsi enlevés dans toute la zone occupée, généralement regroupés sur Paris et expédiés en Allemagne entre 1940 et 1941, puis de mai 1942 à août 1944 à la suite de l’Action Meubles. Il note : 7 décembre 1942, dix pianos sont envoyés à Berlin pour la Direction de la SS. Il fait état également d’un inventaire d’avril 1943 qui décompte 1006 pianos stockés à Paris, pour l’essentiel au Palais de Tokyo en attente de leur transfert en Allemagne. Le dernier transport serait en date du 21 juillet 1944 portant sur 43 pianos et à destination de Francfort-sur-Oder. Les lieux de stockage, outre le palais de Tokyo, sont une aile du musée des beaux-arts, les camps de Bassano et Austerlitz, un garage de la rue de Richelieu… Le Sonderstab Musik revend les pianos qu’il a pillés à diverses organisations national-socialistes !
Lorsque les troupes d’occupation allemandes quittent Paris, elles y laissent près de deux mille pianos stockés dans divers dépôts.

Après la guerre seuls les pianos restés en France feront l’objet d’un inventaire complet. Il sera terminé le 20 avril 1945 et une gigantesque opération de restitution sera organisée. Les pianos sont exposés ( dans de très mauvaises conditions de température et d’humidité) au jardin d’acclimatation, au palais de Tokyo, à la foire de Paris. Pour obtenir cette restitution, le spolié doit, avant la visite, en avoir fait au préalable la description. S’il est le seul à revendiquer un instrument qu’il a reconnu, il lui appartient de le faire transporter chez lui. Lorsque plusieurs personnes reconnaissent le même piano comme étant le leur, c’est le juge d’instance qui doit trancher in fine. Les pianos resteront exposés jusqu’en mai 1947, mais à peine la moitié d’entre eux sera restituée ( 900 sur 2073).

Le projet initial du gouvernement qui était de procéder, pour ce qui restait, à un vente des domaines sera intelligemment transformé.
Comme beaucoup de spoliés n’avaient pu récupérer leurs pianos disparus en Allemagne, on propose de leur concéder un contrat de prêt sur les pianos non revendiqués, renouvelable de trois mois en trois mois et ne pouvant excéder deux ans ; à charge pour eux de procéder à l’entretien, la réparation et à en payer les frais d’expertise et de transport. A l’issue de ces deux ans, après une nouvelle expertise, il est proposé à l’emprunteur de le racheter ou de le rendre.

Au total, le 14 janvier 1948, le chef du service des restitutions adresse le bilan suivant au directeur des finances extérieures : dans le seul département de la Seine il y a eu 8000 pianos signalés disparu, 2 221 ont été récupérés, 1356 ont été rendus, 134 prêtés, 443 remis aux domaines et 288 sont encore dans les dépôts.

Sur toute la France, une estimation grossière permet d’évaluer à près de 10 000 le nombre de pianos qui auront disparu de la circulation, sans compter un bon millier devenu à peu près irréparable et qui vont donc cruellement manquer sur le marché de l’occasion. La situation s’aggravera encore car à ces disparitions vont s’ajouter les faillites, dans les premières années de l’après-guerre, des petits puis de tous les grands fabricants de pianos français.

Plus d'infos.

mercredi 28 octobre 2009

Mon Boulat à moi...



Le problème d’être d’une double culture, comme moi, c’est que l’une aimerait parfois transmettre quelque chose à l’autre et se trouve dans une très grande difficulté de le faire .

Depuis longtemps j’ai envie de faire un billet sur Boulat Okoudjava. Mais voilà le cas de quelqu’un de célébrissime chez les Russes et qui, en dehors des slavisants, est totalement inconnu en France.
Et comment donner une idée de ce qu’il était et de qui il était ? Et surtout donner une idée de son art ?
On peut bien sûr s’en tenir à des données factuelles. Ou au moins commencer par cela.

C’est un écrivain, poète, né à Moscou en 1924 et mort à Paris en 1997 au cours d’une de ses tournées qui est devenu célèbre surtout à partir du moment où il s’est mis à écrire des chansons et les chanter.
Il est aussi connu en Russie que Piaf ou Brassens en France, auquel d’ailleurs on l’a, un peu à tort, comparé. Il y a en particulier une gravité, voire une tristesse, chez Okoudjava que l’on ne trouve que rarement chez Brassens. Il a fait partie de la vague de poètes de ces années-là, mal vus par le régime, comme Vissostski, Vozniessensky, Brodsky ou Evtouchenko.

Brassens et Okoudjava avaient en commun d'être d’assez piètres chanteurs mais des poètes exceptionnels utilisant un langue d’un classicisme tout à fait remarquable, agrémentée de quelques expressions populaires ou même d’argot.
On est loin, chez Okoudjava, de la langue bizarre et très soviétique de Vissotski. C’est d’ailleurs une raison importante pour laquelle le premier a été immédiatement adopté et adulé par l’immigration russe en France, contrairement au deuxième qui n’a vraiment été connu qu’à l’occasion de son histoire avec Marina Vlady.

Mais la poésie russe est irréductible à la poésie française. Pour de très nombreuses raisons.

Certaines tiennent évidemment à la langue, à sa musicalité. Mais aussi à sa concision et sa densité.
Là où le russe aligne trois mots « Gorié ot ouma » (Горе от ума ), titre d’une célèbre pièce de Griboiédov, le français est obligé d’en aligner sept : « Le malheur d’avoir trop d’esprit ».

La poésie, cause ou conséquence de sa vitalité y est aussi un art populaire, très populaire, on n’imagine pas à quel point : les Russes connaissent des pages et des pages par cœur de Pouchkine, Lermontov ou Essenine. Il ne s’agit pas de quelques lettrés, comme en France, mais des Russes ordinaires, Monsieur et Madame tout-le-monde.
Il n’y a aucun autre endroit dans le monde, je crois, où une foule peut remplir une salle de la taille d’un Zénith pour venir y écouter un type réciter seul sur scène des poèmes pendant deux heures et recevoir une standing ovation à la fin comme c’était par exemple le cas à chaque prestation d’Evtouchenko. C’est juste pour situer le contexte…

Alors Okoudjava, pourquoi donc est-il si russe ? et pourquoi si difficile à transmettre à ceux qui ne le sont pas ? et pourquoi a-t-on tellement envie de le leur transmettre malgré tout ?
Que c’est difficile à dire !...

Que les Russes de l’époque de la glaciation brejnévienne l’apprécient, cela peut se comprendre. Il leur apportait des interrogations sur l’homme, la morale, la foi , l’amour, l’amitié : que des préoccupations petites-bourgeoises en quelque sorte, qui lui ont valu son exclusion de l’Union de écrivains malgré son immense succès.
Il touchait les Russes dans des dimensions qui leur étaient devenues interdites, mais surtout il atteignait une profondeur universelle à travers son humanisme, son amour du peuple, son pacifisme.
Il y a, dans chaque phrase chez Okoudjava, une justesse dans la formulation qui émeut, qui blesse presque.

Alors, quelle (s) chanson (s) choisir ?
J’ai bien du mal...

Voici cette chanson qui parle de ce dernier trolley de minuit, qui ramasse un peu toutes les âmes à la dérive de la ville, que je trouve vraiment typique de sa manière . ( Il récite ensuite un poème consacré à Pouchkine que les non russophones évidemment couperont, puis chante une chanson sur un thème proche de l'Auvergnat de Brassens.) On remarquera qu'il joue d'une guitare russe, à sept cordes, accordée à vide sur un open de sol majeur (ré si sol ré si sol ré)

Le dernier trolley

Quand je suis impuissant à vaincre le malheur,
quand le désespoir me guette,
je prends à la course un trolley bleu

le dernier, n'importe lequel.
Trolley de minuit, file par les rues,

fais ta ronde sur les boulevards

pour ramasser tous ceux qui ont fait dans la nuit

naufrage, naufrage.

Trolley de minuit, ouvre-moi ta porte !

Je sais que dans le froid poignant de la nuit
tes passagers, tes matelots
nous prêtent main forte.
Avec eux, plus d'une fois, j'ai fui le malheur,
j'ai senti leurs épaules contre mes épaules...
Ah ! combien il y a de bonté
dans leur silence, leur silence.

Le trolley de minuit vogue à travers Moscou,
Moscou comme un fleuve s'estompe,

et la douleur qui me frappait du bec la tempe

s'apaise, s'apaise.

Et cette très étonnante Prière


Tant que la terre tourne encore,
tant que
la lumière est vive,
Seigneur, donne à chacun
ce qu'il n'a pas:
au sage une tête, au poltron
un cheval,
à l'heureux de l'argent...
Et moi, ne m'oublie pas.


Tant que la terre tourne encore
- Seigneur
c'est en ton pouvoir !
Donne à ceux qui veulent le pouvoir
de régner à loisir,
donne à souffler au généreux,
au moins jusqu'au soir,
à Caïn donne le remords...,
Et moi, ne m'oublie pas.


Je le sais: tu peux tout,
je crois en ta sagesse,
comme un soldat tué croit
vivre en Paradis,
comme chaque oreille croit
à tes doux propos,
comme nous croyons nous-mêmes, ne sachant
ce que nous faisons !


Seigneur, mon Dieu, mon doux Seigneur aux yeux verts !
Tant que tourne encore la terre,
et cela paraît
bien étrange,
tant qu'il reste encore du temps et du feu,
donne à chacun un peu...
Et moi, ne m'oublie pas.


En savoir plus sur Boulat Okoudjava.

dimanche 25 octobre 2009

Quand l’image prétend servir la musique...



Je me demande si on ne peut pas soutenir que le clip a tué la musique populaire…

En effet, c’est une donnée établie depuis longtemps que l’image accapare beaucoup plus l’attention que le son : lorsqu’un mélomane, par exemple, cherche à se concentrer sur la musique, il ferme volontiers les yeux pour ne pas être distrait par la vue...

Lorsque la télévision s’est imposée comme le média principal, on s’est demandé ce que l’on pourrait bien mettre à l’image pour pouvoir passer de la musique de variétés, personne n’imaginant que l’on puisse la diffuser en ne montrant rien...
Il y a eu deux réponses : soit on filmait les musiciens en train de jouer ( en vrai ou, le plus souvent, en play-back), soit on inventait un produit visuel qui était censé accompagner la musique.
Il a d’abord pris la forme rudimentaire du scopitone, puis le clip est apparu, finissant par devenir parfois bien supérieur en invention et en qualité à la musique qu’il accompagnait. Cela s’est fait au détriment de la présence musicale et au prix d'une perte d’attention de l’auditeur à la musique elle-même. C’est, à mon avis, une explication importante du manque d’exigence des jeunes actuels vis à vis des musiques qu’ils écoutent.
En réalité ils les "écoutent" de moins en moins : soient elles sont « regardées », soit elles sont traitées comme un bruit de fond n’exigeant aucune concentration. Et ce qu’ils ont gagné en sens critique et compréhension de l’image, ils l’ont perdu au niveau de la musique.

La première fois que je suis tombé sur ces « animusiques », ces animations 3D figurant des instruments virtuels, j’ai vraiment été bluffé car elles sont une sorte de compromis artistique entre le film de musiciens en train de jouer et la création d’une œuvre graphique originale.
Malheureusement, You tube pour des raisons de droits a été obligé de les enlever aussi je ne puis vous les montrer ce qui enlève tout intérêt à la fin de cet article, désolé ! 

En voici une. La musique ne casse pas trois pattes à un canard, mais je trouve le principe intéressant. Plus on est dans l'abstraction, mieux cela fonctionne, me semble-t-il.



En voici une autre

Et encore
une autre

jeudi 24 septembre 2009

A la cour du roi cramoisi

Je republie cet article que j'avais été obligé d'enlever, ne pouvant plus utiliser la musique sur You-Tube .

*******

Je tiens « 21st Century Schizoïd Man » pour le plus grand morceau de toute l’histoire de la Pop Music au sens large.
Lorsque j’étais jeune musicien encore amateur, dans les années 70, la première fois que je l’ai entendu, je n’en ai pas cru mes oreilles…
D’abord, les mises en places collectives me semblaient totalement impossibles à jouer tellement elles étaient difficiles. Aujourd’hui, on est tellement habitué aux machines, aux sequencers qu’on n’arrive même plus à s’en rendre compte…
Ensuite, ce morceau, portant complexe musicalement parlant, est quasiment parfait. Seul le chorus de saxo, pourtant excellent, n’arrive pas à se hisser au niveau hors normes du reste…

Tout est magnifique dans ce titre, la rigueur remarquable de l’ensemble du point de vue de la composition, avec ses trois parties bien distinctes mais très astucieusement enchaînées, pas la moindre facilité de remplissage (absence de « pompe » à la guitare ou de « tapis » de claviers), ce son éblouissant de guitare ressemblant presque à un violon et ce solo stupéfiant de beauté de Robert Frip dont on ne peut qu’admirer le développement…
Sans doute le plus étonnant et le plus daté est ce style de batterie qui joue à la manière des batteurs de jazz, comme un instrument à part entière. C’est surtout à l’entendre que l’on mesure la catastrophe culturelle qui s’est abattue sur les musiques de jeunes actuelles, l’indigence répétitive des boîtes à rythmes dont on a la flemme de programmer la moindre variante et qui débite bêtement son boum-boum stupide et monotone.
Appauvrissement du langage musical qui va de pair avec l'appauvrissement du langage tout court. Impossible de ne pas le rapprocher de la manière dont j’ai entendu s’exprimer des jeunes de banlieue qui, incapables d’aligner plus de trois mots, commençaient une phrase et plaçaient des « et voilà » partout, probablement suivis de points de suspension, comptant sur l’interlocuteur pour qu’il devine les mots manquants…
Il n’y a que quatre instruments sur ce titre : une guitare, une basse, une batterie et un saxo, plus la voix qui y occupe une place mineure ; on a pourtant l’impression d’avoir affaire à un orchestre gigantesque….




Ce titre ne se contente pas d’être génial musicalement parlant, il l’est aussi sur le plan de l’expressionnisme.
Le morceau qui évoque le schizophrène du futur 21e siècle parvient à donner une impression de folie, y compris dans la musique ce qui est, en réalité, très difficile. En effet, le propre de la folie est d’enfermer l’individu dans un monde qu’il ne peut pratiquement pas communiquer aux autres, imaginer une musique de fou reviendrait à faire quelque chose de totalement incompréhensible et inaudible. Or ce titre y parvient malgré tout, avec l’astuce d’être en permanence « border line » : assez pour figurer la folie, pas trop pour rester compréhensible.

Le premier choc est bien sûr le volume : le titre commence par des bruits très faibles mais que l’on devine complexes, du coup pour mieux entendre, le réflexe est de monter énormément le volume… et lorsque le morceau démarre vraiment on prend en pleine figure le violent volume sonore, métaphore évidente du cri de douleur…
La voix est passée à travers une distorsion ce qui la rend limite compréhensible et continue la métaphore du cri, de la voix cassée, mais aussi de ce qui est abîmé par la technologie. Dans le symbolisme sonore, la voix étant directement produite par le corps, elle figure l’être humain dans son intimité ; la casser par un appareil électronique c’est violer son humanité.
Ensuite ce solo de guitare qui utilise des intervalles bizarres, dont on ne sait pas trop à quelle type de gamme ou de mode ils se rattachent, et bien sûr ces mise en places tellement difficiles qu’elles sont, là aussi, à la limite de l’humain et du compréhensible.
On notera la fin qui ressemble à ces interminables « n’importe quoi » que l’on entend parfois sur scène, qui n’ont d’autre fonction que d’être arrêtés par un signe du chanteur, mais qui est là tellement bien faite qu’elle met réellement les nerfs à bout…

Mon disque vinyle de ce morceau est dans un état lamentable tellement je l’ai écouté, passé et repassé en essayant d’apprendre le solo de guitare, ou pour comprendre comment la basse fonctionnait avec la batterie, à la fois en autonomie et parfois en fusion totale. Aussi, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas écouté, vingt ans au moins. Si j’en parle aujourd’hui c’est que je l’ai trouvé à la bibliothèque de Montpellier en CD, je l’ai enregistré.
Et lorsque j’ai lancé le Schizophrène du 21e siècle à la Cour du Roi Cramoisi, j’ai repris le même coup de poing dans le ventre qu’il y a vingt-cinq ans, quand je l’ai entendu la première fois…

vendredi 18 septembre 2009

Une chiquenaude russe très bavarde…

Il a beaucoup de pays où l’on picole, mais l’alcoolisme russe atteint de niveaux vraiment effrayants.
Un homme russe sur trois, une femme russe sur sept sont alcooliques…
Les Russes connaissant deux formes d’alcoolisme. A l’alcoolisme festif, mondain, de soirées (très) arrosées entre amis que l’on trouve partout, s’ajoute un alcoolisme spécifique et solitaire qui consiste à s’acheter la quantité de vodka nécessaire à prendre un cuite, à s’installer dans un coin, à l’écart, et de boire sans autre forme de procès jusqu’à ne pouvoir se relever.

Des études récentes et nombreuses permettent de rendre compte de ce phénomène malheureusement profondément ancré dans la mentalité russe et qui a traversé l’époque communiste sans faiblir. Les riches boivent vodka et cognac, les pauvres boivent des alcools frelatés, du liquide de freins, de l’antigel, du dissolvant, de l’eau de cologne… n’importe quoi.
Mais c’est aussi dans un certain nombre de gestes ou de traditions que l’on mesure le mieux le poids de l’alcool dans la culture russe.

On pourrait citer la tradition des toasts évidemment, assortis d’un dicton qui veut que toute bouteille de vodka entamée doive être terminée ; mais c’est autre histoire, très curieuse, parce qu’elle mêle la grande Histoire et l’alcoolisme, que j’ai rapportée de Russie. Je n’en avais jamais entendu parler dans l’émigration.

Lorsque les Russes contemporains évoquent l’alcool ou l’alcoolisme sans prononcer le mot, ils font volontiers un geste bizarre qui consiste à incliner le tête sur le côté en la levant et à se donner une ou deux chiquenaudes avec l’index, sous le menton.

Interrogés sur la signification étrange de ce geste, voici l’histoire qu’ils m’ont racontée :

Sous le Tsar Pierre le Grand, celui-ci, pour récompenser un certain nombre de ses loyaux serviteurs, leur avait offert un gobelet aux armes impériales qui leur donnait le droit d’entrer dans n’importe quelle auberge de l’empire et de s’y faire servir à volonté et gratuitement de la vodka, sur présentation de ce gobelet, qui en était alors dûment rempli... Sauf, qu’évidemment, vu l’état lamentable dans lequel ils finissaient par se retrouver, ils perdaient le gobelet en question ou se le faisaient voler, bref, la tsar imagina un système plus simple.
Les serviteurs méritants se verraient désormais apposer un coup de tampon encré aux armes du tsar sur le haut du cou, sous le menton. Ainsi, les heureux récipiendaires, en pénétrant dans une auberge levaient-ils la tête et l’inclinaient de côté pour découvrir la marque et la montraient de l’index à l’aubergiste pour attirer son attention.

Et la tradition s’est maintenue depuis le XVIII e siècle. Si vous rencontrez un Russe qui, tout à coup, au cours de la conversation fait ce geste d’un œil égrillard, ne vous y trompez pas, c’est picoler, qu’il veut...

C’est tout au moins l’histoire qui m’a été racontée. Si certains ont des précisions, je suis preneur.

mardi 8 septembre 2009

Billie sings the blues

Je me suis toujours refusé à essayer d’interpréter le talent d’un musicien ou analyser ses œuvres à la lumière de sa vie privée.
Il s’agit toujours d’une piste décevante, qui donne l’illusion que l’on a compris quelque chose, mais en réalité qui éloigne de l’œuvre elle-même. Je me fiche éperdument de savoir que telle symphonie de Beethoven a été composée après une rupture amoureuse ou dans une phase de bonheur. Car, à ce compte-là tout le monde pourrait être Beethoven.

Pourtant, pour Billie Holiday, il me semble qu’ignorer sa vie c’est mal appréhender cette chanteuse, en perdre une dimension importante.
Celle que les spécialistes considèrent volontiers comme la meilleure chanteuse de jazz de tous les temps n’est pas a priori bien impressionnante et comprendre les raisons pour lesquelles un Miles Davis, un Frank Sinatra, un Louis Amstrong ou une Ella Fitzgerald lui ont voué une telle admiration n'est pas immédiat.

Une voix un peu voilée et plutôt sobre, peu puissante et qui doit beaucoup à l’utilisation du micro, un vibrato léger et de la justesse au niveau de l’exécution, c’est à peu près tout ce que l’on peut en dire sur le plan technique.
Ensuite, on s’étonnera chez cette très belle femme de la dégradation de ses traits puis de sa voix et on s’intéressera à sa vie. Un enfer qu’elle a raconté dans son autobiographie : « Lady sings the blues ».

Un enfer total, de sa naissance à sa mort. Plus ou moins abandonnée, maltraitée par sa famille, violée à l’âge de 10 ans par un voisin, prostituée par sa mère, alcoolique et lourdement droguée, escroquée, tabassée par ses hommes, endettée, emprisonnée… À côté, même la vie de Tina Turner ressemble à une bluette.

Alors, l’entendre et la voir chanter avec cette sobriété, cette malice, cette légèreté ou cette gravité, ce magnifique swing un peu traînant, on le prend à la fois comme une politesse exquise envers nous, celle de ne pas nous ennuyer avec ses histoires et, pour elle, une sorte de parenthèse de bonheur au milieu de ses souffrances.

La voici dans « My man » qui est à l’origine une chanson française composée par Maurice Yvain (1920) chantée par Mistinguett et Edith Piaf, entre autres, sous le titre « C’est mon homme ».



Également dans "Strange Fruit". Pour en savoir davantage sur cette chanson.




Janis Joplin, Maria Callas, Billie Holiday, trois divas aux destins douloureux qu'il m'a plu de réunir ici.
Je les aime toutes les trois.

vendredi 4 septembre 2009

L'affaire Callas

Le drame essentiel du destin de Maria Callas, celui qui éclipse tous les autres, a été la détérioration de sa voix ; et on ne peut mesurer l’ampleur de cette tragédie qu’en se penchant sur la valeur exceptionnelle, hors norme, de ce qu’elle a perdu.

Pour bien comprendre, l’ambitus ordinaire des sopranos, c'est-à-dire l’écart entre la note la plus grave et la plus aiguë, est de l’ordre de deux octaves et la tessiture se situe entre le Do3 et le Do 5, ce dernier étant le fameux « contre-ut ». C’est la zone où elles chantent normalement sans trop d’efforts. ( Le chiffre indique le numéro conventionnel de l’octave. Comme repère, le La du diapason, celui de la tonalité du téléphone en France est un La3.) Les voix sopranos les plus aiguës peuvent aller jusqu’au Mi5 (contre-mi) et très exceptionnellement au delà.



(Cliquer sur l'image pour agrandir)

La tessiture constatée de la Callas au meilleur de sa forme allait du Fa#2 au Mi5 ( on rapporte même un contre-fa poussé par erreur, mais sans preuve certaine), soit presque trois octaves. Autrement dit elle couvrait une tessiture allant du grave d’une contralto à celle d’une « soprano coloratur ». Renseignement pris, il semblerait bien qu’il s’agisse d’un cas unique lui permettant, vocalement parlant, d’interpréter n’importe quel rôle féminin du répertoire lyrique (1). Je parle ici de l'ambitus, car pour ce qui est de la note la plus aiguë, il y a eu mieux, mais pas souvent. La cantatrice actuellement dans le circuit qui a ( qui avait, pour être plus exact) la voix la plus haute est Natalie Dessay ( contre-sol# dans Lakmé en 1999), mais on est encore loin de Mado Robin : contre-contre-ré ! (Ré6, ce qui est semble-t-il la note la plus haute jamais atteinte par une voix humaine, au moins depuis que l'on dispose de traces).
Autre caractéristique de la voix de la Callas, sa puissance vraiment exceptionnelle que l’on mesure à un détail stupéfiant : elle était capable de faire un diminuendo sur un contre-mi dans La Somnanbula (Bellini) , ceci a été enregistré au cours d’une prestation en direct.
Pour bien comprendre où se situe l’exploit, ces notes limites, suraiguës, chez les cantatrices ne peuvent être chantées autrement qu’à une puissance maximale. Faire un diminuendo (ou decrescendo, c’est la même chose) sur une note que l’on ne peut sortir qu’à pleine puissance est théoriquement impossible. Pourtant elle l’a fait…
À ces caractéristiques purement techniques s’ajoute enfin un timbre très particulier, reconnaissable entre mille surtout dans le registre médium. Timbre, d’ailleurs, qu’une stricte orthodoxie classique qualifierait certainement de laid. En tout cas pas vraiment « pur ».
Les qualificatifs des techniciens du chant sur la voix de la Callas à sa grande époque sont unanimes et dithyrambiques.

On l’entendra ici dans Casta Diva ( La Norma, Bellini) lorsqu’elle avait encore sa voix unique. Un de ses plus grands succès, qu’elle doit aussi à son incroyable investissement dans l’interprétation des rôles qu’elle a joués.
A titre personnel, je ne suis pas fan d’opéra et je n’aime pas beaucoup le chant classique : voix trop forcées, vibratos insupportables, prononciation ridicule etc. Mais entendre cela continue de me sidérer et de m’émouvoir au plus profond de mes tripes.



Que c’est-il donc passé pour qu’elle perde une voix aussi exceptionnelle ?

Si l’on en croit tout ce qui a été écrit sur le sujet, les raisons en sont multiples et Maria Callas a eu la malchance qu’elles se soient conjuguées à peu près simultanément...

L’une des causes les plus étranges et sur laquelle l’expérience des cantatrices a été très largement en avance sur les constatations du milieu médical (qui n’a vraiment reconnu le fait que depuis une vingtaine d’années) est le rôle de la diminution des œstrogènes. Lorsque la production de ces hormones féminines diminue ou s’arrête, la voix se durcit, perd de sa puissance et devient plus grave. Phénomène léger et temporaire durant les règles (2), il est définitif et parfois violent au moment de la ménopause. ( On cite le cas de la malheureuse Christa Ludwig à qui s’est arrivé en plein concert durant une représentation de Don Carlos). Et la malchance a voulu que la Callas ait été ménopausée très tôt, au tout début de sa quarantaine.( 3)

Une autre cause invoquée, qui n’a pas manqué de m’intriguer, est son amaigrissement.
Jusqu’à l’âge de 30 ans Maria Callas a été, comme presque toutes les cantatrices de son époque, assez boulotte et c’est semble-t-il à l’occasion d’un opportun ténia suivi d’un régime constant, qu’elle a considérablement maigri et qu’elle s’est maintenue dans sa nouvelle silhouette. Mais les techniciens du chant expliquent que ce n’est pas sans conséquence sur la puissance du souffle. C’est ce que pense notamment la soprano Renée Fleming citée par Wikipedia :
«J'ai ma propre explication au sujet de son déclin vocal. C'est plus en la regardant chanter qu'en l'écoutant que j'ai acquis la conviction que c'est son amaigrissement important et rapide qui est à incriminer. [Les enregistrements vidéo de Callas réalisés à la fin des années 1950 et au début des années 1960, révèlent des problèmes de souffle].
Ce n'est pas la perte de poids en elle-même... mais si quelqu'un se sert de son poids pour assurer son souffle et que ce poids diminue fortement, cette personne, si elle n'a pas développé une musculature de rechange, aura des problèmes de voix. Quelqu'un m'a dit que la manière dont Callas portait ses mains à son plexus lui permettait de « pousser » et, par là même d'obtenir une sorte d'appui. Si elle avait interprété des rôles de soubrette, elle n'aurait pas connu de problème. Mais elle chantait les rôles les plus difficiles du répertoire, ceux qui nécessitent le plus de vigueur ».

Autrement dit, sans doute pour plaire à des hommes, elle a sacrifié sa voix….
Circonstance aggravante, l’absorption de psychotropes d’abord régulière puis massive après sa rupture avec Onassis a eu également un effet secondaire hypotonique et hypotenseur désastreux sur sa musculature vocale.

On a enfin évoqué, comme cause de la perte de sa voix, un travail excessif dans des registres qui n’étaient pas vraiment les siens.
Elle était probablement une mezzo-soprano naturelle et ce n’est qu’au prix d’un entrainement acharné qu’elle avait réussi à atteindre dans le grave le registre d’une contralto et dans l’aigu celui d’une coloratur. Selon certains spécialistes, interpréter trop de rôles difficiles dans ces registres forcés (notamment les rôles wagnériens) aurait fini par épuiser sa voix. Et, à l’appui de cette explication, il faut incontestablement noter l’enchaînement, parfois le cumul incroyable de ses prestations.

Après Janis Joplin, voilà encore un autre destin de chanteuse : à la mort brutale par overdose de l’une, répond la dégradation d'une voix sublime pour l’autre. Mais dans les deux cas cela se termine par une forme de suicide…

Notes :
(1) On oubliera le cas Yma Sumac qu’on n’a jamais entendu chanter un opéra et dont les performances vocales sont assez suspectes.

(2) Lorsqu’il m’est arrivé d’être interprète pour le Marinsky (ex-Kirov) au cours d’une de leurs tournées en France, j’avais été surpris que certaines choristes féminines soient, de temps en temps, dispensées de répétitions. Lorsqu’à mes questions il m’avait été répondu que c’était en raison leurs embarras périodiques, j’avais haussé les épaules croyant à un reliquat de règlement bureaucratique obscurantiste hérité de l’époque soviétique…

(3) Il ne faut probablement pas chercher ailleurs la réorientation récente de Natalie Dessay à l’âge de 47 ans vers des rôles exigeant moins de notes extrêmes.

lundi 31 août 2009

Le pouvoir de la gamme pentatonique


Vidéo très intéressante. Je remercie, au passage, l'ami qui me l'a fait parvenir et qui se reconnaîtra !

Pour en savoir plus sur Bobby Mc Ferrin.

Il prétend que n'importe où dans le monde, le public réalise facilement cet exercice, ce qui tendrait à démontrer que cette gamme à cinq degrés serait la plus "naturelle". J'avoue être sceptique ; je soupçonne ce public d'être composé (assez logiquement) de mélomanes et je doute que, surtout vers la fin de l'exercice, n'importe lequel soit ainsi capable de respecter les notes qu'il indique par ses déplacements.

Mais je suis un indécrottable sceptique...

Traduction des échanges à la fin de la vidéo (merci, mon Philou !) :

Mc Ferrin : « Ce qui m'intéresse là-dedans, c’est que, où que je sois, partout, le public arrive à ça. C’est indifférent, vous voyez, la gamme pentatonique, j’ignore pourquoi. »

Un autre : « Si vous cherchez un job dans les neurosciences... » ( j’aurais quelque chose pour vous) [rires]

Un troisième, à un autre : « Juste pour formuler le problème scientifiquement : Larry, mais bon sang, qu’est-ce qui s’est passé, là ? » [rires]


jeudi 27 août 2009

La cuisine russe en danger ?

Certaines informations en provenance d’amis qui vivent en Russie ou qui y vont régulièrement sont inquiétantes : à Moscou il est devenu difficile de trouver un restaurant qui propose de la cuisine russe traditionnelle et, plus inquiétant encore, la carte y est souvent très réduite. Pour manger russe il faudra bientôt se rendre à Paris ou à Bruxelles pour y consommer, d’ailleurs, toujours les mêmes borchtch, chachliks ou pelemenis et à des prix exorbitants…

Il est certain que le communisme et ses pénuries n’a pas été favorable à la continuité de la gastronomie russe et, contrairement à la période tsariste, aucun cuisinier venu d’occident n’est venu compléter ou inventer en matière culinaure durant cette période.

Ce n’est que tout récemment, que quelques chefs français embauchés dans des hôtels moscovites s’y sont intéressés, ont fait l’effort de trouver des babouchkas qui leur ont transmis les recettes et les ont parfois réinterprétées d’une façon moderne, au grand étonnement des indigènes...
Ces nouveaux Russes tirent un peu vite un trait sur un immense patrimoine culinaire très original, se ruant sur des cuisines exotiques ou française ou italienne. Ils s’emploient tellement à copier les pays occidentaux qu’ils sont en train de perdre bêtement des savoir-faire ancestraux, et ce qui est vrai des constructions de maisons en bois l'est également de la cuisine.

Dieu sait portant si les Russes avaient un savoir-faire en la matière !

Par exemple, un véritable génie en matière de soupes, délicieuses, où ils utilisent même du kvass (boisson à base de pain de seigle fermenté) ou de la saumure à cornichons. Et ils arrivent à faire de la très bonne soupe avec du poisson de rivière !
Leurs préparations de conserves à base de marinades et saumures très variées sont intéressantes. Ils ont même des techniques pour rendre comestibles certains champignons dont la cueillette est chez nous fortement déconseillée comme la « gyromitre comestible » (Gyromitra esculenta).
D’une manière plus générale, la Russie par ses ressources agricoles, ses dimensions, ses brassages culturels ne pouvait qu’avoir une cuisine très variée. Mais il faut aussi reconnaître qu’elle demande souvent énormément de temps de préparation, beaucoup de main d’œuvre, ce qui la rend est un peu inadaptée au mode de vie moderne et urbain.

On en trouvera un descriptif assez complet sur Wikipedia. Je regrette que l’article n’ai pas mentionné le Kissiel, véritable curiosité gastronomique et physique puisqu’il s’agit d’un fluide antithixotropique, c’est à dire qui possède la propriété de voir sa viscosité augmenter quand on le soumet à des actions mécaniques comme le touiller et de revenir à une forme plus liquide lorsque l’on cesse de le faire.

Bref, Russie, ta cuisine fout le camp, il faut faire quelque chose !

A mon modeste niveau, j’ai créé la Secte des adorateurs du Kissiel dont je me suis décrété grand-maître. Déjà deux adeptes nouveaux ont réussi à produire cette délicieuse chose bizarroïde à partir de mes indications.

On recrute !

jeudi 20 août 2009

mardi 18 août 2009

Janis


On commémore ces temps-ci le quarantième anniversaire du rassemblement de Woodstock, considéré comme le point culminant du mouvement hippie aux USA.
Or il y a eu un autre festival deux ans auparavant, le premier de l'Histoire, dont on a également tiré un film « Monterey pop », bien plus intéressant sur le plan musical..
Il a été mon film-culte à moi, celui que j’ai été voir et revoir plus de dix fois au cinéma. C’est là que j’ai vu pour la première fois, à côté d'artistes déjà connus comme Otis Redding, un certain nombre de musiciens dont la renommée était encore plus ou moins confidentielle en France à cette époque : Jimmy Hendrix, Jefferson Airplane, Cannet Heat, les Byrds, Grateful Dead, les Animals, les Who… On trouvera ici la liste de tous les participants de ce festival qui a duré trois jours et où les artistes ont tous joué gratuitement (Ce qui explique en partie que ni les Stones, ni le Beatles, déjà fortement encadrés sur le plan commercial, n’y étaient).

Mais celle qui m’a vraiment scotché sur mon fauteuil, d’autant que j’en n’avais jamais entendu parler, c’est Janis Joplin dans Ball and Chain.
Contrairement aux autres qui étaient frigués à la mode hippie multicolore et extravagante, elle était en tunique–pantalon en maille claire, très classe, avec des mules à petit talon, mais sa furieuse chevelure en vrac.
Malgré son calamiteux guitariste, lorsque ce petit bout de bonne femme se mettait à rugir ho-o, wowou-wowou-wo, en frappant du pied, j’avais le cœur qui en oubliait de battre, me disant que ce n'était pas possible, qu'elle allait rendre ses tripes sur scène... ( Mama Cass, l'imposante chanteuse des Mamas and Papas que l'on voit en plan de coupe est tout aussi stupéfaite de la performance.)


Janis Joplin Monterey Pop Festival 1967 (Ball and Chain)

J’ai revu ce film une fois, plus de vingt ans après, avec mon fils déjà adolescent.
Entre temps, beaucoup de ces artistes étaient morts prématurément : Ottis Redding, Mama Cass, Keith Moon, (le batteur des Who), Jimmy Hendrix et Janis Joplin. Overdose d’héroïne pour elle.
Quand, ressuscitée à l'écran, elle a attaqué Ball and Chain et qu'elle s’est remise à éructer comme un diable, je m’ai pu retenir mes larmes dans cette salle obscure en pensant à son destin épouvantable.
Par quoi est alimentée une telle rage, une telle souffrance ? C’est un mystère. Celui de l’artiste qui, d’une certaine manière, a la chance de pouvoir en faire quelque chose de socialement utile en médiatisant ses émotions par une technique. Mais on ne dira jamais assez combien il est souvent sur une corde raide, à la limite de basculer définitivement dans son mode intérieur, celui de l’indicible et de l’enfermement suicidaire sur soi.
L’artiste a droit au respect. C’est grâce à lui que le bourgeois peut se donner des frissons à contempler l’horreur, le sublime ou la passion extrême sans prendre de risque pour lui-même. Parce que c’est l’artiste qui les prend à sa place.