samedi 8 mai 2010

Love is all : histoire d’un clip mythique

L’intérêt d’un site comme Deezer, c’est d’y rechercher un vieux truc qu’on a eu (ou pas) en vinyle, dont on peut avoir oublié le nom de l’interprète et le titre, et qui ne reste dans votre mémoire que sous forme d’une mélodie parfois très vague.
Il s’agit en général d’une chanson qui a été un « one shot », un tube qui n’a eu aucune suite pour son interprète. Par exemple « Voyage voyage  » de Desirless, véritable OVNI dans la chanson française ou « Sympathy » de Rare Bird parmi des centaines d’autres.
Je passe, ainsi, parfois des heures à essayer de retrouver tel ou tel titre de ce genre qui a jalonné ma jeunesse et j’ai fini par retrouver d’abord la musique, puis le clip de ce mythique « Love is all » dont tous ceux qui ont plus de trente ans se souviendront certainement.
La musique est tirée d’un album baptisé Butterfly Ball, produit par Roger Glover, (le bassiste de Deep Purple), qui s’est entouré pour l’occasion de quelques guest stars au nombre desquelles Ronnie James Dio qui chante la chanson et du pianiste Eddie Hardin, co-compositeur de l’album. Cette musique est associée à un dessin animé qui a fait sa célébrité : des animaux qui chantent dans un village féerique avec une grenouille-guitariste en soliste.





Au départ, il y avait eu un projet d’adaptation en dessin animé d’un conte pour enfants d’un certain Alan Aldridge, « The butterfly ball and the grasshoper’s feast ». Il s’agissait d’un long métrage de 90mn. Hélas l’entreprise qui devait le réaliser a fait faillite, si bien que le projet n’a jamais vu le jour. Mais la musique avait été terminée et l’album, sous le nom de « The Butterfly ball » est sorti en 1974.
Un seul titre, Love is all, avait été animé, comme test, pilote, élément de démonstration et est resté ainsi sous forme d’un clip magnifique.

Il est devenu mythique pour bien des raisons : d’abord ses indéniables qualités formelles, avec un dessin très coloré rappelant les ambiances gaies et psychédéliques des années 1970 et une musique à la fois riche et soignée, très inspirée des Beatles et de leur humour, ( une référence à Yellow Submarine  ?).

Mais surtout ce qui a beaucoup contribué à son succès en France, c’est qu’il a longtemps été utilisé à la télévision pour faire patienter les spectateurs en cas d’incident ou de panne, remplaçant le vieillot « Interlude » et son petit train. Son apparition à l’écran était donc totalement aléatoire et imprévisible, au grand bonheur des téléspectateurs qui en oubliaient volontiers l’incident qui avait déclenché sa diffusion.

J’aimerais bien savoir qui, à l’ORTF de l’époque, a eu cette idée géniale, mais mes recherches n’ont pas abouti. Si quelqu’un le sait, qu’il me le dise. Si cette personne est encore en vie je me fendrai d’une lettre de remerciements au nom de toute une génération de téléspectateurs...

Ce titre a été utilisé pour une publicité en faveur d’un sirop, le « Sironimo » et repris avec un autre dessin animé, à base d’images de synthèse, cette fois, sous le titre  Florabelle et la mushroom family. (Sympa aussi à voir...)

Eh,oui, on savait faire de la bonne musique populaire, en ce temps-là !
Le texte et sa traduction.

vendredi 23 avril 2010

Quand passent les cigognes

Je ne sais si je dois remercier Arunah de m’avoir rappelé cette chanson bouleversante que j'avais cru entendre dans le célebrissime film soviétique « Quand passent les cigognes ».
Certaines d'entre elles, par l'effet d'une magie inexplicable, sont capables de fédérer et cristalliser l'émotion de tout un peuple autour d'un malheur commun. Ici, il s'agit  des  morts, de l’hécatombe subie au cours de la 2e guerre mondiale.

 Il faut rappeler à quel point la population soviétique a été touchée : plus de 26 millions de morts, près de 14 % de le population (par comparaison l’Allemagne 10,5 % ou la France 1, 4 % ). Ce chiffre extravagant est d’ailleurs à l’origine, chez les Russes, d’une certaine incompréhension vis à vis de la shoah et ses « seulement » six millions de morts ( Pourtant proportionnellement encore plus meurtrière, 75% des juifs européens, 40 % des juifs du monde). Il n’y a pas eu une seule famille soviétique qui n’ai été touchée. Dans la mienne un grand-père fusillé par le nazis, un oncle qui repose dans la carcasse d’un sous-marin au fond de la Baltique, pour ne rester que dans la famille la plus proche.
Toute évocation en Russie des morts de la seconde guerre mondiale est terrible, et cette chanson au texte poignant, comme seuls les Russes savent les faire, déclenche chez eux, chaque fois, une très forte  émotion .
Il est à noter que le groupe Serebro (l’argent-métal) l’a reprise à un concours de l’eurovision de 2007 qu’évidemment la puissance de ce texte est totalement passée inaperçue.

Je vais m’essayer à la traduire (j’ai gardé la traduction inexacte de jouravli  en « cigognes », le mot « grues » ayant malheureusement en français un sens argotique inélégant :

Les cigognes 

Il me semble parfois que les soldats
Qui ne sont pas revenus des champs ensanglantés ;
Ne se sont pas couchés en nos terres, un jour,
Mais  sont devenus des cigognes blanches.


Depuis ces temps anciens
Ils volent sans cesse et crient vers nous.
N’est-ce pas pour cette raison que si souvent
En silence, avec tristesse, le ciel nous regardons ?


Elle vole dans le ciel la flèche fatiguée
Dans le brume, à la fuite du jour,
Et dans ce vol il y a un tout petit espace,
Une place pour moi peut-être !


Le jour viendra pour moi, avec le vol de cigognes,
De flotter dans la même brume bleue
En vous appelant, de sous les nuages, dans la langue  des oiseaux,
Vous tous,  que j’aurai laissés sur terre.


Il me semble parfois que les soldats
Qui ne sont pas revenus des champs ensanglantés ;
Ne se sont pas couchés en nos terres un jour,
Mais sont devenus des cigognes blanches...

Voici la très belle version, toute en retenue, du baryton sibérien, Dimitri Khvorostovski




Et celle du groupe "Serebro" qui l'a présentée au concours de l'Eurovision de 2007 et a terminé 3e. A mon avis  ce n'était pas le lieu idéal pour cela...

lundi 29 mars 2010

Lux aurumque

Trouvé sur le blog de Maître Eolas :

Voici le résultat d'une expérience de choeur virtuel réalisé par Eric Whiteacre, musicien, époux de la soprano Hila Pitman.
A noter, toutefois que ce n'est pas la première tentative de faire jouer ensemble, grâce à internet, des musiciens éloignés les uns des autres, parfois de milliers de kilomètres, mais la procédure, ici, compte tenu de la nature de la musique est spécifique.
Ce musicien, compositeur et chef d'orchestre a composé ce morceau spécialement pour cette expérience et, avec l'aide technique de Scott Haines l'a fait enregistrer sur des vidéos par des choristes volontaires.  Il leur a envoyé la partition, puis a mis en ligne une vidéo de sa direction de choeur. Les choristes, chacun dans son coin, se sont enregistrés en suivant la battue et les indications d'expression. Les vidéos de ces choristes envoyées par internet ont été triées, 185 d'entre elles, provenant de12 pays différents ont été sélectionnées, puis finalement mixées.
Et cela donne ceci :


Etonnant, non ?

jeudi 11 mars 2010

La musique dans la tête…

La possibilité qu’ont les musiciens  d’entendre la musique rien qu’en regardant la partition ou en visualisant leur instrument, se révèle particulièrement utile dans de nombreuses circonstances ; en particulier extrêmes, lorsque l’accès aux sons est impossible.

On pense évidemment à des musiciens devenus sourds comme Beethoven.  Et ce qu’il a réussi à écrire ou même à percevoir de l’exécution de ses musiques est proprement stupéfiant, car contrairement à la cécité dont une partie des conséquences peut être atténuée par le développement d’autres sens comme l’ouïe ou le toucher, on n’imagine pas ce qui pourrait compenser la surdité : peut-on imaginer pour la musique quelque chose d’équivalent à la lecture sur les lèvres des sourds et malentendants pour la parole ? Il est probable qu’un pianiste devenu sourd arriverait  dans une certaine mesure à entendre une musique en regardant les mains d’un autre pianiste jouer sur un clavier, mais je ne sais pas si l’on a pu observer cela… D’ailleurs Beethoven a dû finir par renoncer à diriger l’exécution de ses musiques après une multiplication d’erreurs et d’expériences malheureuses. On rapporte ainsi que la première exécution de sa 7e symphonie fuit très chaotique, le Maître s’étant trouvé en avance de plusieurs mesures, plongeant l’orchestre dans une grande pagaille.
J’ai été très surpris d’apprendre également  que même les instrumentistes pouvaient répéter uniquement en lisant la partition, et pas seulement pour la mémoriser semble-t-il. Hélène Grimaud raconte ainsi comment au cours de ses voyages, en avion ou en train, elle « travaille »ses morceaux uniquement à partir de la partition…

Je me souviens aussi du cas de ce pianiste Argentin Miguel Angel Estrella à qui on avait autorisé, (cela se passait dans les années 1980), un clavier muet dans la cellule où il avait été emprisonné en Uruguay à la demande de la junte argentine. J'avais eu une discussion avec d’autres musiciens à ce propos : devait-on le considérer comme une faveur, une mesure  humanitaire vis à vis d’un pianiste virtuose, ou comme une torture psychologique supplémentaire ?
Je me rends compte aujourd’hui, que seul le pianiste lui-même pouvait répondre, et je suppose que cela dépendait de sa capacité à entendre dans sa tête les sons virtuels de son clavier muet….






Photo du clavier muet dont se servait Miguel Angel Estrella en prison.







 A signaler :  Un article très intéressant sur la surdité de Beethoven et sa musique.

jeudi 4 mars 2010

Davaï, davaï, un bonheur russe et tsigane.

"Davaï, davaï", en russe veut dire « allez, allez », « vas-y, vas-y », mais c’est aussi le nom d’un groupe constitué autour de Svetlana Loukine que j’ai eu le bonheur d’aller écouter hier soir à La pleine Lune à Montpellier.
Cet orchestre composé de sept musicien(ne)s se situe dans la continuité de groupes de musiques tsiganes  comme Bratch, au répertoire indéfinissable. C’est un extraordinaire exemple de cet immense estomac tsigane qui absorbe indifféremment toutes les musiques qu’il trouve sur son passage et les régurgite sous une forme et une manière bien caractéristique, utilisant entre autres, le chant choral et l’imprécision comme technique expressive.
Cet orchestre qui comprend une contrebasse électrique, un accordéon, un percussionniste, une violoniste, deux guitaristes et une chanteuse reprend quelques traditionnels de la musique russo-tsigane, pas très connus dans l’ensemble, parfois remarquables ( ah, ce « V dol derevni », cette valse à 5 temps, quel rythme magnifique et peu utilisé ! ) mais, et c’est l’une de ses originalités, propose quelques très belles compositions. « Tikho », par exemple, sur un poème d’Anna Akhmatova..
Ils ont fait un tabac hier, pourtant dans les conditions difficiles d’un café musical. Svetlana Loukine est magnifique de présence sur scène, les musiciens d’un excellent niveau et certains arrangements bien trouvés.Et tout cela dégage une énergie fabuleuse et une joie communicatives.
Franchement, si vous les voyez programmés du côté de chez vous allez-y, vous ne regretterez pas votre soirée.
Et en passant faites la bise à ma petite nièce dont toute la famille est si fière !

samedi 6 février 2010

Ouzbekistan. Les chefs d'oeuvre du désert.







IgorVitaliévitch Savitsky





La première fois que j’ai entendu parler de cette histoire ahurissante... (et tellement russe !) c’est dans le livre d’Erik Orsenna « Voyages aux pays du coton ». Depuis, on a eu quelques articles de journalistes et des témoignages de voyageurs qui par curiosité sont allés y voir.

C’est l’histoire d’un jeune homme nommé Igor Vitaliévitch Savitsky, archéologue de métier et peintre, que sa mauvaise santé dispensa du front de la 2e guerre mondiale et qui, durant le conflit, atterrit et se fixa à Samarkande en Ouzbékistan. À la fin de la Guerre, en plein stalinisme triomphant, Jdanov décrète la mobilisation des artistes à la construction d’un art pour le peuple, et ils sont sommés de renoncer à leurs préoccupations petites-bourgeoises et individualistes : le réalisme socialiste soviétique est né…
Ceux qui n’obéissent pas sont exclus de tout soutien officiel, rentrent en clandestinité… et misère, ils sont même parfois persécutés, exécutés, internés dans des hôpitaux psychiatriques, envoyés au goulag.
D’où va lui venir cette idée saugrenue et courageuse, héroïque même ? nul ne sait – mais Igor Savitsky décide de sauver et cacher ces œuvres devenues maudites. Il cherche un lieu, le plus loin possible du pouvoir central, dans un coin déshérité de l’URSS, qui n’intéresse personne, et finit par trouver en Ouzbekistan une petite ville de province, une sorte de trou du cul de l’URSS, la ville de Noukous, qu’Orsenna décrit ainsi :

« […] quelle force aurait pu m’arracher de Khiva, " la perle des oasis ", pour me conduire à cette horreur de ville que l’on appelle Noukous ? Au milieu du désert, un concentré d’urbanisme soviétique, ce cocktail inimitable d’avenues démesurées, d’immeubles délabrés, de parcs vides que surplombe une grande roue immobile, d’esplanades infinies plantées de statues héroïques… Les alentours sont pires. »

C’est là qu’il va, sur trente ans de recherche obstinée, cacher 7 452 peintures, 25 223 desseins, 1 322 sculptures d’art non autorisé qu’il va recueillir dans toute l’URSS. Véritables enquêtes policières qui le mènent dans des appartements miséreux, des villages sordides… Aux artistes eux-mêmes, à leurs veuves, à leurs enfants il explique son projet et les persuade de lui confier les œuvres afin qu’il les réunisse et les mette à l’abri en attendant des jours meilleurs… Ce n’est qu’en 1966 qu’on finit par le nommer directeur de cet improbable « Musée de Noukous » qui, dans un premier temps ne bénéficie d’aucune notoriété ni de locaux appropriés.

Igor Vitaliévitch Savitsky décède en 1984, à la veille de la perestroïka et sans voir l’aboutissement de son œuvre. C’est son assistante, Marinika Babanazarova, qui va porter à bout de bras ce projet et résister de toutes ses forces aux pillards de toutes sortes qui tenteront de disperser cette collection unique. Pillards qui peuvent aussi bien être des oligarques, des potentats locaux que de grands musées européens...

Ces artistes sont totalement inconnus en dehors des spécialistes, mais les rares photos de ces œuvres que l’on peut voir ici et là sur Internet montrent qu’il s’agit d’œuvres d’art exceptionnelles . Une sorte de « chaînon manquant » peut-être, de l’art du XXe siècle.

En 2002, les autorités, pour le moins ubuesques, de l’Ouzbékistan devenu indépendant ont fini par faire construire une sorte de blockhaus de béton pompeusement baptisé « Musée Savitsky".




Et Marinika Babanazarova continue de résister aux pillards...



Un excellent article de Télérama sur le sujet.

Une galerie de quelques oeuvres du musée.



jeudi 4 février 2010

Les violons du peuple


Mikael Goronok est un fonctionnaire russe qui a un travail hors du commun.
En tant que "Directeur de la collection d'Etat des instruments de musique remarquables', il est chargé de veiller sur près de 400 violons, altos, violoncelles entreposés dans une salle blindée à température et degré hygrométrique constants, située dans les sous-sols d'un immeuble discret.
Il ya de quoi rendre fou un violoniste : des Amati, des Lupot, des Vuillaume en quantité suffisante pour tout un orchestre, douze Garnerius, treize Stradivarius....
Cette collection est constituée, pour l'essentiel d'instruments confisqués à leur propriétaire au moment de la révolution bolchévique. Ils sont donc devenus "propriété du peuple".
Chaque instrument a son histoire : ce Stardivarius appartenait au tsar Alexandre Ier, celui-ci à la famille Youssoupov dont le dernier rejeton, Felix, fut l'un des assassins de Raspoutine, celui-là est une "prise de guerre" ramenée d'Allemagne par l'armée rouge...
De temps à autre un instrument est prêté à un soliste. Mais, en 2009, sous l'impulsion du célébrissime altiste et chef d'orchestre Youri Bashmet (dont nous aurons l'occasion de reparler...), ces instruments ont été montrés au public (auquel ils appartiennent depuis leur "nationalisation"!) et joués à l'occasion d'une série de concerts à travers toute la Russie, jusqu'au fin fond de villes de province.
Youri Bashmet raconte que cela a été l'évènement le plus considérable en Russie depuis l'envoi de Gagarine dans l'espace ; que à Omsk, Ekaterinenbourg, les gens pleuraient de joie et juraient qu'ils raconteraient à leurs petits-enfants en quelles circonstances ils avaient entendu des Stradivarius pour la première fois.
Les voyages de ces instruments, on s'en doute, ont été entourés de plus de précautions encore que s'il s'était agi de chefs d'Etat !

(D'après un article de l'express N° 3053 du 7 au 13 janvier 2010, signé de Axel Gylden avec Alla Chevelkina.)

jeudi 28 janvier 2010

Un chef ?


À plusieurs reprises, j’ai eu des doutes sur l’utilité réelle du chef d’orchestre en musique classique.
Il me semblait que ce type qui gesticulait durant les concerts brassait surtout de l’air, et à part donner le départ et le tempo, je ne voyais pas trop à quoi il pouvait bien servir compte tenu du niveau de professionnalisme des musiciens auxquels il avait affaire.

Je me doutais bien, tout de même qu’il y avait un travail en amont, mais ce n’est que lorsque le hasard d’un job d’été comme interprète-traducteur m’a permis d’assister à des répétitions de l’orchestre du Marinsky ( ex-Kirov) sous la direction de Valery Gerguiev que j’ai compris en quoi son rôle était essentiel.

En réalité le chef dispose d’un tel pouvoir, quasiment absolu sur les musiciens, que c’est lui l’interprète de l’œuvre. Les musiciens ne sont que des exécutants dont la docilité est une qualité au moins aussi essentielle que leur compétence et leur technique musicale. J’ai, par exemple, été impressionné par les « arrêts » du chef d’orchestre pour une raison ou une autre : il n’y pas un musicien qui traîne, l’arrêt est simultané pour tout le monde, quel que soit l’endroit de la musique où le chef fait le geste, au milieu d’une mesure, n’importe où… ce qui montre l’extrême attention des musiciens aux indications du chef. Cela m'a d'ailleurs étonné car il me semblait que les musiciens, l'œil rivé à la partition, ne le voyaient pas vraiment. En les interrogeant, ils m'ont confirmé que j'étais dans l'erreur et que le chef était placé de telle manière qu'ils puissent à la fois regarder leur partition et le voir dans le prolongement de celle-ci.

Comme pour la mise en scène de pièces de théâtre ou opéras, il y des débats sans fin sur les limites acceptables à la liberté d’interprétation des œuvres classiques.

Mais si les partitions modernes sont très chargées en indications, plus on remonte en arrière, moins on en trouve. Avant le XVII e siècle il n’y a rien. On ne pouvait se faire une idée du tempo et du rythme que par quelques indications comme la référence à une danse : bourrée, courante etc… mais aussi par le choix des valeurs attribuées aux notes ( suivant que c’étaient des croches ou des rondes par exemple).
À partir du XVIIe, les compositeurs ajoutent des indications qui deviendront, avec le temps, de plus en plus nombreuses : le tempo (vitesse d’exécution), d’abord par ces qualifications italiennes bien connues qui vont du Largo au Prestissimo, et qui comportent un assez grand éventail de vitesses intermédiaires comme Andantino, par exemple(64-70 à la noire), dont le tempo est situé entre Adagio et Andante. Avec l’invention du métronome les indications de tempo deviennent beaucoup plus rigoureuses et des erreurs célèbres comme celle de « Allegretto » pour ce 2e mouvement de la 7e symphonie de Beethoven, qui a tout d’une marche funèbre, deviennent impossibles.
Les indications de nuances pour le volume apparaissent aussi progressivement à partir du XVIIIe, du pianissimo au fortissimo avec les indications de progressions ; on en trouve aussi pour le phrasé (legato, lié ou stacato, détaché) et la manière d’interpréter le rythme (rubato, sans rigueur, par exemple) ; mais le plus curieux est sans doute ce type d’indication en italien qu’on appelle « de caractère » comme par exemple con brio (avec éclat), ou scherzando (en badinant) ; on en trouve ainsi une bonne cinquantaine en ne comptant que les plus usitées.

Mais même lorsque les partitions sont chargées d’indications de ce genre, d’abord elles ne couvrent pas toutes les possibilités d’interprétations et, ensuite, il n’existe aucune loi qui interdit à un chef d’orchestre de s’en écarter, ou même de ne pas en tenir compte du tout. Seul un compositeur contemporain de l’exécution de son œuvre, au nom de son droit d’auteur, pourrait trouver quelque chose à y redire… Le chef va donc imposer ses propres vues sur la manière d’interpréter une musique, d’abord en habituant l’orchestre à les respecter au cours des répétitions puis en les rappelant par des gestes, les expressions de son corps et de son visage lors de l’exécution du concert.

Le terrain d’intervention probablement le plus important (mais pas le plus évident à percevoir…) est ce que j’appellerai la « couleur » de l’orchestre, d’autant qu’il n’existe, pour le coup, aucune indication sur ce point dans les partitions.
Il faut entendre par « couleur » la manière dont les instruments vont se fondre et se différencier les uns par rapport aux autres.
Une partie très importante du travail de Gerguiev consistait à indiquer à chaque pupitre, voire à chaque ensemble d’instruments, et à chaque passage ( !) comment ils devaient jouer les uns par rapport aux autres : là il jugeait les cuivres trop forts et les violons pas assez, là il ne fallait pas couvrir un trait de clarinette solo etc…

Évidemment, le chef fait recommencer autant de fois qu’il le faut certains passages difficiles, en particulier ceux qui le sont d’un point de vue rythmique.
Il faut ici rappeler que la rythmique en musique concerne la répartition des temps forts (accentués) et des temps faibles, sachant qu’en la matière les combinaisons et les nuances sont absolument infinies et que les instruments ne sont pas tous logés à la même enseigne du point de vue de la précision : celle d’une clarinette ou d’un hautbois est bien moindre que celle d’une trompette ou d’un violon…
Le chef doit donc repérer s’il y a des musiciens qui traînent et alourdissent l’exécution de certaines figures. Quelquefois, il les fait répéter d’abord seuls, puis avec tout l’orchestre. Il doit faire la chasse aux notes qui manquent de justesse et être capable de repérer dans un orchestre de 60 personnes, qui exactement pourrit la justesse ou qui n’est pas bien en rythme.
Pour ce qui concerne Guerguiev ses indications sur les intentions expressives, je dois dire, étaient parfois assez obscures, voire surréalistes et je me demande bien comment les musiciens pouvaient les traduire dans leur jeu… Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, la parole du chef, que l’on n’entend évidemment pas en concert est essentielle au travail des musiciens et probablement plus importante que ses gestes.

Peut-on le comparer à un metteur en scène vis à vis du théâtre ?
Non car, contrairement à lui, il intervient également pendant la représentation.

Les « grands » chefs d’orchestre sont nécessairement des personnalités fortes, mais plus ou moins expressives. Certains sont très calmes, économes de leurs mouvements, d’autres autoritaires, colériques, gesticulant en tous les sens.

Il n’est pas facile de trouver des vidéos où l’on peut voir le chef de face.
En voici une de Mischa Katz, chef que je ne connaissais pas, d’ailleurs. Il dirige d’abord l’ouverture des noces de Figaro, puis de Don Giovanni. On remarquera que, très souvent, il interrompt la battue de la mesure pour préférer les indications d’expression et de nuances.

Il n’y a pas deux chefs d’orchestre qui se comportent de la même manière...




Le rôle et le pouvoir du chef d'orchestre se prêtent a des gags très drôles et je n'ai pas pu résister à cette vidéo :


On lira avec beaucoup d'intérêt les réflexions de Berlioz sur les chefs d'orchestre. Les profanes pourront sauter les passages techniques mais l'ensemble est passionnant.


Et, pour s'amuser...

dimanche 17 janvier 2010

Quelques Baffes de Rachmaninov

Je voudrais reprendre un article sur Rachmaninov , ce compositeur, décidément, se révélant plein de surprises.

Pour des raisons assez obscures, Rachmaninov est un compositeur qui ne faisait pas partie de ma culture musicale classique de base.

Même si, comme tout le monde, je savais que l’indicatif de l’émission « Apostrophes » était un extrait de son concerto pour piano n°1, ( attention, c'est ici une version sans l'orchestre...) c'est « Variations sauvages » le livre d'Hélène Grimaud, qui m’a donné envie de m’y intéresser. Elle y raconte, entre autres, sa passion pour ce compositeur en des termes tout à fait stupéfiants et intrigants. La parole des grands musiciens sur la musique a d'autant plus de valeur qu'elle est rare...

Ce qui me fascine chez ce compositeur, c'est d'une part cette sorte de sauvagerie, très russe, au fond, que l'on trouve dans ses œuvres et, d'autre part, la virtuosité (terrifiante de travail et de contraintes), qu’exige leur exécution. Plus que pour Paganini, encore, ( auquel il a, comme par hasard, rendu hommage en reprenant et développant le thème de son caprice n°24) la virtuosité n'est pas là pour "faire de l'effet", elle est une composante essentielle de la construction originale de sa musique. Certaines de ses œuvres sont de véritables déluges de notes et les performances des pianistes lorsqu'ils les jouent sont hallucinantes.

Le 3e concerto pour piano, par exemple, celui que les musiciens appellent familièrement le « Rach 3 » est considéré, avec le 2e concerto de Prokofiev, comme l’œuvre pour piano la plus difficile à jouer du répertoire. Rachmaninov, lui-même, disait que lorsqu’il le jouait en concert, il était incapable de faire un bis à la fin, tellement il était épuisé physiquement…

On sent bien que c’est une musique qui impose une exigence au-delà de l’humanité ordinaire. Pour le pianiste évidemment, ( c’est sans doute ce qui fascinait Hélène Grimaud), mais aussi (dans une bien moindre mesure, il est vrai) pour l’auditeur. Il n’y a pas à dire, et pour parler familièrement, ce n’est pas une musique pour blaireau…
On est assez près de la musique contemporaine atonale mais, bizarrement très loin également. J'éprouve le sentiment d'être devant un paroxysme de romantisme, plus que devant une quelconque transgression de celui-ci...
Fasciné par ses œuvres, je suis rentré depuis quelques temps dans un véritable tunnel Rachmaninov et pas près d’en sortir. Comment ai-je pu vivre jusqu’ici sans le connaître autrement que de nom ?

J’ai trouvé sur You-Tube un morceau qui est une illustration parfaite et presque caricaturale de la manière de Rachmaninov, l’étude opus 39 n°6. (Elle permet, au passage d’entendre les extraordinaires basses d’un Bösendorfer…) C’est fascinant comment derrière la brutalité du morceau se glissent des moments de grâce harmonique, comme cachés au milieu de la véhémence du reste…


Si on a eu la curiosité d’écouter jusqu’au bout, on appréciera mieux le morceau suivant, l'opus 23 n°5 par la même virtuose ukrainienne Valentina Lisitsa. Morceau presque aussi violent que le précédent, mais beaucoup plus abordable à l'écoute grâce à un thème que l’on retient facilement et qui permet de s’y retrouver.


Il y a parfois des rencontres étranges : le hasard a voulu que je tombe sur ce même morceau illustré par sa partition (Interprété par Richter). Je suis très impressionné par sa beauté formelle, graphique. Elle a quelque chose d'extraordinairement organisé, construit. On apprend beaucoup sur une musique à regarder sa partition, même si l'on ne sait pas la lire. On peut, comme ici, y repérer sa limpidité ou, comme dans les partitions de Mozart la complexité.



Et je propose enfin ceci. Là, un pur bonheur musical, mais qui reste sous une forte tension à cause de cette main gauche ultra-rapide. On se demande comment le pianiste n’a pas cette main paralysée à la fin du morceau…


Je suis frappé par les attitudes physiques semblables de ces deux pianistes qui se lèvent presque de leur siège comme pour se donner ( ou transmettre ?) encore un peu plus d'énergie à leur exécution.

Attention, Rachmaninov= drogue dure...



Mais on peut rire aussi de cette virtuosité imposée : comment un pianiste qui a les mains trop petites pour jouer du Rachamaninov est obligé de se débrouiller....