lundi 21 décembre 2009

"Let it be" revu par les choeurs de la marine russe...



Voici une version pour le moins surprenante de ce tube des Beatles !

mercredi 18 novembre 2009

Le mystère des pianos manquants


Dans les années 70 la France finissait de se couvrir de conservatoires municipaux et la demande en pianos d’occasion était forte. Et tous les marchands et réparateurs de pianos se sont trouvés bizarrement confrontés à une pénurie d’instruments d’occasion à restaurer, en particulier de marques françaises.

Cette situation qui a finalement conduit dans les années 80, pour satisfaire le marché français, à aller chercher des pianos anciens ( et généralement de très mauvaise qualité ) par wagons entiers en Grande Bretagne était, a priori inexplicable…
En effet, avant la 2e guerre, la France était un important producteur de pianos et, outre les très connus Gaveau, Erard et Pleyel, les fabricants étaient nombreux (une trentaine selon un rapide décompte). Cette pénurie était donc était donc tout à fait anormale.

C’est un ancien collègue, Jean-Marie H..., qui m’a fait parvenir un article (malheureusement non sourcé, mais qui semble inspiré par les livres de Willem de Vries) qui donne une explication de ces "pianos manquants " : ils ont, tout simplement été raflés et expédiés en Allemagne par l’occupant nazi.

Pour l’essentiel, il s’agit de biens confisqués aux Juifs et aux franc-maçons, mais pas seulement. Tous les prétextes étaient bons, à commencer par celui des prises de guerre.
Dès 1940 a été crée au sein de l’ERR (EinsatzstabReichsleiter Rosenberg ) un Sonderstab Musik, dirigé par Herbert Gerigk, aux objectifs multiples.
Certains étaient purement idéologiques, faire revenir en Allemagne tout ce qui pouvait concerner des compositeurs allemands, partitions, manuscrits, correspondance etc, mais aussi lutter contre la musique « dégénérée » terme qui concernait aussi bien les compositeurs « modernes » que juifs moins modernes. Mais avec l’instauration de l’Action Meubles qui permettait de confisquer tous les biens meubles, de très importantes saisies de pianos ont eu lieu.

Willem de Vries, l’historien hollandais qui a le plus étudié l’action du Sonderstab Musik en Europe, renonce a faire le décompte exact des pianos ainsi enlevés dans toute la zone occupée, généralement regroupés sur Paris et expédiés en Allemagne entre 1940 et 1941, puis de mai 1942 à août 1944 à la suite de l’Action Meubles. Il note : 7 décembre 1942, dix pianos sont envoyés à Berlin pour la Direction de la SS. Il fait état également d’un inventaire d’avril 1943 qui décompte 1006 pianos stockés à Paris, pour l’essentiel au Palais de Tokyo en attente de leur transfert en Allemagne. Le dernier transport serait en date du 21 juillet 1944 portant sur 43 pianos et à destination de Francfort-sur-Oder. Les lieux de stockage, outre le palais de Tokyo, sont une aile du musée des beaux-arts, les camps de Bassano et Austerlitz, un garage de la rue de Richelieu… Le Sonderstab Musik revend les pianos qu’il a pillés à diverses organisations national-socialistes !
Lorsque les troupes d’occupation allemandes quittent Paris, elles y laissent près de deux mille pianos stockés dans divers dépôts.

Après la guerre seuls les pianos restés en France feront l’objet d’un inventaire complet. Il sera terminé le 20 avril 1945 et une gigantesque opération de restitution sera organisée. Les pianos sont exposés ( dans de très mauvaises conditions de température et d’humidité) au jardin d’acclimatation, au palais de Tokyo, à la foire de Paris. Pour obtenir cette restitution, le spolié doit, avant la visite, en avoir fait au préalable la description. S’il est le seul à revendiquer un instrument qu’il a reconnu, il lui appartient de le faire transporter chez lui. Lorsque plusieurs personnes reconnaissent le même piano comme étant le leur, c’est le juge d’instance qui doit trancher in fine. Les pianos resteront exposés jusqu’en mai 1947, mais à peine la moitié d’entre eux sera restituée ( 900 sur 2073).

Le projet initial du gouvernement qui était de procéder, pour ce qui restait, à un vente des domaines sera intelligemment transformé.
Comme beaucoup de spoliés n’avaient pu récupérer leurs pianos disparus en Allemagne, on propose de leur concéder un contrat de prêt sur les pianos non revendiqués, renouvelable de trois mois en trois mois et ne pouvant excéder deux ans ; à charge pour eux de procéder à l’entretien, la réparation et à en payer les frais d’expertise et de transport. A l’issue de ces deux ans, après une nouvelle expertise, il est proposé à l’emprunteur de le racheter ou de le rendre.

Au total, le 14 janvier 1948, le chef du service des restitutions adresse le bilan suivant au directeur des finances extérieures : dans le seul département de la Seine il y a eu 8000 pianos signalés disparu, 2 221 ont été récupérés, 1356 ont été rendus, 134 prêtés, 443 remis aux domaines et 288 sont encore dans les dépôts.

Sur toute la France, une estimation grossière permet d’évaluer à près de 10 000 le nombre de pianos qui auront disparu de la circulation, sans compter un bon millier devenu à peu près irréparable et qui vont donc cruellement manquer sur le marché de l’occasion. La situation s’aggravera encore car à ces disparitions vont s’ajouter les faillites, dans les premières années de l’après-guerre, des petits puis de tous les grands fabricants de pianos français.

Plus d'infos.

mercredi 28 octobre 2009

Mon Boulat à moi...



Le problème d’être d’une double culture, comme moi, c’est que l’une aimerait parfois transmettre quelque chose à l’autre et se trouve dans une très grande difficulté de le faire .

Depuis longtemps j’ai envie de faire un billet sur Boulat Okoudjava. Mais voilà le cas de quelqu’un de célébrissime chez les Russes et qui, en dehors des slavisants, est totalement inconnu en France.
Et comment donner une idée de ce qu’il était et de qui il était ? Et surtout donner une idée de son art ?
On peut bien sûr s’en tenir à des données factuelles. Ou au moins commencer par cela.

C’est un écrivain, poète, né à Moscou en 1924 et mort à Paris en 1997 au cours d’une de ses tournées qui est devenu célèbre surtout à partir du moment où il s’est mis à écrire des chansons et les chanter.
Il est aussi connu en Russie que Piaf ou Brassens en France, auquel d’ailleurs on l’a, un peu à tort, comparé. Il y a en particulier une gravité, voire une tristesse, chez Okoudjava que l’on ne trouve que rarement chez Brassens. Il a fait partie de la vague de poètes de ces années-là, mal vus par le régime, comme Vissostski, Vozniessensky, Brodsky ou Evtouchenko.

Brassens et Okoudjava avaient en commun d'être d’assez piètres chanteurs mais des poètes exceptionnels utilisant un langue d’un classicisme tout à fait remarquable, agrémentée de quelques expressions populaires ou même d’argot.
On est loin, chez Okoudjava, de la langue bizarre et très soviétique de Vissotski. C’est d’ailleurs une raison importante pour laquelle le premier a été immédiatement adopté et adulé par l’immigration russe en France, contrairement au deuxième qui n’a vraiment été connu qu’à l’occasion de son histoire avec Marina Vlady.

Mais la poésie russe est irréductible à la poésie française. Pour de très nombreuses raisons.

Certaines tiennent évidemment à la langue, à sa musicalité. Mais aussi à sa concision et sa densité.
Là où le russe aligne trois mots « Gorié ot ouma » (Горе от ума ), titre d’une célèbre pièce de Griboiédov, le français est obligé d’en aligner sept : « Le malheur d’avoir trop d’esprit ».

La poésie, cause ou conséquence de sa vitalité y est aussi un art populaire, très populaire, on n’imagine pas à quel point : les Russes connaissent des pages et des pages par cœur de Pouchkine, Lermontov ou Essenine. Il ne s’agit pas de quelques lettrés, comme en France, mais des Russes ordinaires, Monsieur et Madame tout-le-monde.
Il n’y a aucun autre endroit dans le monde, je crois, où une foule peut remplir une salle de la taille d’un Zénith pour venir y écouter un type réciter seul sur scène des poèmes pendant deux heures et recevoir une standing ovation à la fin comme c’était par exemple le cas à chaque prestation d’Evtouchenko. C’est juste pour situer le contexte…

Alors Okoudjava, pourquoi donc est-il si russe ? et pourquoi si difficile à transmettre à ceux qui ne le sont pas ? et pourquoi a-t-on tellement envie de le leur transmettre malgré tout ?
Que c’est difficile à dire !...

Que les Russes de l’époque de la glaciation brejnévienne l’apprécient, cela peut se comprendre. Il leur apportait des interrogations sur l’homme, la morale, la foi , l’amour, l’amitié : que des préoccupations petites-bourgeoises en quelque sorte, qui lui ont valu son exclusion de l’Union de écrivains malgré son immense succès.
Il touchait les Russes dans des dimensions qui leur étaient devenues interdites, mais surtout il atteignait une profondeur universelle à travers son humanisme, son amour du peuple, son pacifisme.
Il y a, dans chaque phrase chez Okoudjava, une justesse dans la formulation qui émeut, qui blesse presque.

Alors, quelle (s) chanson (s) choisir ?
J’ai bien du mal...

Voici cette chanson qui parle de ce dernier trolley de minuit, qui ramasse un peu toutes les âmes à la dérive de la ville, que je trouve vraiment typique de sa manière . ( Il récite ensuite un poème consacré à Pouchkine que les non russophones évidemment couperont, puis chante une chanson sur un thème proche de l'Auvergnat de Brassens.) On remarquera qu'il joue d'une guitare russe, à sept cordes, accordée à vide sur un open de sol majeur (ré si sol ré si sol ré)

Le dernier trolley

Quand je suis impuissant à vaincre le malheur,
quand le désespoir me guette,
je prends à la course un trolley bleu

le dernier, n'importe lequel.
Trolley de minuit, file par les rues,

fais ta ronde sur les boulevards

pour ramasser tous ceux qui ont fait dans la nuit

naufrage, naufrage.

Trolley de minuit, ouvre-moi ta porte !

Je sais que dans le froid poignant de la nuit
tes passagers, tes matelots
nous prêtent main forte.
Avec eux, plus d'une fois, j'ai fui le malheur,
j'ai senti leurs épaules contre mes épaules...
Ah ! combien il y a de bonté
dans leur silence, leur silence.

Le trolley de minuit vogue à travers Moscou,
Moscou comme un fleuve s'estompe,

et la douleur qui me frappait du bec la tempe

s'apaise, s'apaise.

Et cette très étonnante Prière


Tant que la terre tourne encore,
tant que
la lumière est vive,
Seigneur, donne à chacun
ce qu'il n'a pas:
au sage une tête, au poltron
un cheval,
à l'heureux de l'argent...
Et moi, ne m'oublie pas.


Tant que la terre tourne encore
- Seigneur
c'est en ton pouvoir !
Donne à ceux qui veulent le pouvoir
de régner à loisir,
donne à souffler au généreux,
au moins jusqu'au soir,
à Caïn donne le remords...,
Et moi, ne m'oublie pas.


Je le sais: tu peux tout,
je crois en ta sagesse,
comme un soldat tué croit
vivre en Paradis,
comme chaque oreille croit
à tes doux propos,
comme nous croyons nous-mêmes, ne sachant
ce que nous faisons !


Seigneur, mon Dieu, mon doux Seigneur aux yeux verts !
Tant que tourne encore la terre,
et cela paraît
bien étrange,
tant qu'il reste encore du temps et du feu,
donne à chacun un peu...
Et moi, ne m'oublie pas.


En savoir plus sur Boulat Okoudjava.

dimanche 25 octobre 2009

Quand l’image prétend servir la musique...



Je me demande si on ne peut pas soutenir que le clip a tué la musique populaire…

En effet, c’est une donnée établie depuis longtemps que l’image accapare beaucoup plus l’attention que le son : lorsqu’un mélomane, par exemple, cherche à se concentrer sur la musique, il ferme volontiers les yeux pour ne pas être distrait par la vue...

Lorsque la télévision s’est imposée comme le média principal, on s’est demandé ce que l’on pourrait bien mettre à l’image pour pouvoir passer de la musique de variétés, personne n’imaginant que l’on puisse la diffuser en ne montrant rien...
Il y a eu deux réponses : soit on filmait les musiciens en train de jouer ( en vrai ou, le plus souvent, en play-back), soit on inventait un produit visuel qui était censé accompagner la musique.
Il a d’abord pris la forme rudimentaire du scopitone, puis le clip est apparu, finissant par devenir parfois bien supérieur en invention et en qualité à la musique qu’il accompagnait. Cela s’est fait au détriment de la présence musicale et au prix d'une perte d’attention de l’auditeur à la musique elle-même. C’est, à mon avis, une explication importante du manque d’exigence des jeunes actuels vis à vis des musiques qu’ils écoutent.
En réalité ils les "écoutent" de moins en moins : soient elles sont « regardées », soit elles sont traitées comme un bruit de fond n’exigeant aucune concentration. Et ce qu’ils ont gagné en sens critique et compréhension de l’image, ils l’ont perdu au niveau de la musique.

La première fois que je suis tombé sur ces « animusiques », ces animations 3D figurant des instruments virtuels, j’ai vraiment été bluffé car elles sont une sorte de compromis artistique entre le film de musiciens en train de jouer et la création d’une œuvre graphique originale.
Malheureusement, You tube pour des raisons de droits a été obligé de les enlever aussi je ne puis vous les montrer ce qui enlève tout intérêt à la fin de cet article, désolé ! 

En voici une. La musique ne casse pas trois pattes à un canard, mais je trouve le principe intéressant. Plus on est dans l'abstraction, mieux cela fonctionne, me semble-t-il.



En voici une autre

Et encore
une autre

jeudi 24 septembre 2009

A la cour du roi cramoisi

Je republie cet article que j'avais été obligé d'enlever, ne pouvant plus utiliser la musique sur You-Tube .

*******

Je tiens « 21st Century Schizoïd Man » pour le plus grand morceau de toute l’histoire de la Pop Music au sens large.
Lorsque j’étais jeune musicien encore amateur, dans les années 70, la première fois que je l’ai entendu, je n’en ai pas cru mes oreilles…
D’abord, les mises en places collectives me semblaient totalement impossibles à jouer tellement elles étaient difficiles. Aujourd’hui, on est tellement habitué aux machines, aux sequencers qu’on n’arrive même plus à s’en rendre compte…
Ensuite, ce morceau, portant complexe musicalement parlant, est quasiment parfait. Seul le chorus de saxo, pourtant excellent, n’arrive pas à se hisser au niveau hors normes du reste…

Tout est magnifique dans ce titre, la rigueur remarquable de l’ensemble du point de vue de la composition, avec ses trois parties bien distinctes mais très astucieusement enchaînées, pas la moindre facilité de remplissage (absence de « pompe » à la guitare ou de « tapis » de claviers), ce son éblouissant de guitare ressemblant presque à un violon et ce solo stupéfiant de beauté de Robert Frip dont on ne peut qu’admirer le développement…
Sans doute le plus étonnant et le plus daté est ce style de batterie qui joue à la manière des batteurs de jazz, comme un instrument à part entière. C’est surtout à l’entendre que l’on mesure la catastrophe culturelle qui s’est abattue sur les musiques de jeunes actuelles, l’indigence répétitive des boîtes à rythmes dont on a la flemme de programmer la moindre variante et qui débite bêtement son boum-boum stupide et monotone.
Appauvrissement du langage musical qui va de pair avec l'appauvrissement du langage tout court. Impossible de ne pas le rapprocher de la manière dont j’ai entendu s’exprimer des jeunes de banlieue qui, incapables d’aligner plus de trois mots, commençaient une phrase et plaçaient des « et voilà » partout, probablement suivis de points de suspension, comptant sur l’interlocuteur pour qu’il devine les mots manquants…
Il n’y a que quatre instruments sur ce titre : une guitare, une basse, une batterie et un saxo, plus la voix qui y occupe une place mineure ; on a pourtant l’impression d’avoir affaire à un orchestre gigantesque….




Ce titre ne se contente pas d’être génial musicalement parlant, il l’est aussi sur le plan de l’expressionnisme.
Le morceau qui évoque le schizophrène du futur 21e siècle parvient à donner une impression de folie, y compris dans la musique ce qui est, en réalité, très difficile. En effet, le propre de la folie est d’enfermer l’individu dans un monde qu’il ne peut pratiquement pas communiquer aux autres, imaginer une musique de fou reviendrait à faire quelque chose de totalement incompréhensible et inaudible. Or ce titre y parvient malgré tout, avec l’astuce d’être en permanence « border line » : assez pour figurer la folie, pas trop pour rester compréhensible.

Le premier choc est bien sûr le volume : le titre commence par des bruits très faibles mais que l’on devine complexes, du coup pour mieux entendre, le réflexe est de monter énormément le volume… et lorsque le morceau démarre vraiment on prend en pleine figure le violent volume sonore, métaphore évidente du cri de douleur…
La voix est passée à travers une distorsion ce qui la rend limite compréhensible et continue la métaphore du cri, de la voix cassée, mais aussi de ce qui est abîmé par la technologie. Dans le symbolisme sonore, la voix étant directement produite par le corps, elle figure l’être humain dans son intimité ; la casser par un appareil électronique c’est violer son humanité.
Ensuite ce solo de guitare qui utilise des intervalles bizarres, dont on ne sait pas trop à quelle type de gamme ou de mode ils se rattachent, et bien sûr ces mise en places tellement difficiles qu’elles sont, là aussi, à la limite de l’humain et du compréhensible.
On notera la fin qui ressemble à ces interminables « n’importe quoi » que l’on entend parfois sur scène, qui n’ont d’autre fonction que d’être arrêtés par un signe du chanteur, mais qui est là tellement bien faite qu’elle met réellement les nerfs à bout…

Mon disque vinyle de ce morceau est dans un état lamentable tellement je l’ai écouté, passé et repassé en essayant d’apprendre le solo de guitare, ou pour comprendre comment la basse fonctionnait avec la batterie, à la fois en autonomie et parfois en fusion totale. Aussi, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas écouté, vingt ans au moins. Si j’en parle aujourd’hui c’est que je l’ai trouvé à la bibliothèque de Montpellier en CD, je l’ai enregistré.
Et lorsque j’ai lancé le Schizophrène du 21e siècle à la Cour du Roi Cramoisi, j’ai repris le même coup de poing dans le ventre qu’il y a vingt-cinq ans, quand je l’ai entendu la première fois…

vendredi 18 septembre 2009

Une chiquenaude russe très bavarde…

Il a beaucoup de pays où l’on picole, mais l’alcoolisme russe atteint de niveaux vraiment effrayants.
Un homme russe sur trois, une femme russe sur sept sont alcooliques…
Les Russes connaissant deux formes d’alcoolisme. A l’alcoolisme festif, mondain, de soirées (très) arrosées entre amis que l’on trouve partout, s’ajoute un alcoolisme spécifique et solitaire qui consiste à s’acheter la quantité de vodka nécessaire à prendre un cuite, à s’installer dans un coin, à l’écart, et de boire sans autre forme de procès jusqu’à ne pouvoir se relever.

Des études récentes et nombreuses permettent de rendre compte de ce phénomène malheureusement profondément ancré dans la mentalité russe et qui a traversé l’époque communiste sans faiblir. Les riches boivent vodka et cognac, les pauvres boivent des alcools frelatés, du liquide de freins, de l’antigel, du dissolvant, de l’eau de cologne… n’importe quoi.
Mais c’est aussi dans un certain nombre de gestes ou de traditions que l’on mesure le mieux le poids de l’alcool dans la culture russe.

On pourrait citer la tradition des toasts évidemment, assortis d’un dicton qui veut que toute bouteille de vodka entamée doive être terminée ; mais c’est autre histoire, très curieuse, parce qu’elle mêle la grande Histoire et l’alcoolisme, que j’ai rapportée de Russie. Je n’en avais jamais entendu parler dans l’émigration.

Lorsque les Russes contemporains évoquent l’alcool ou l’alcoolisme sans prononcer le mot, ils font volontiers un geste bizarre qui consiste à incliner le tête sur le côté en la levant et à se donner une ou deux chiquenaudes avec l’index, sous le menton.

Interrogés sur la signification étrange de ce geste, voici l’histoire qu’ils m’ont racontée :

Sous le Tsar Pierre le Grand, celui-ci, pour récompenser un certain nombre de ses loyaux serviteurs, leur avait offert un gobelet aux armes impériales qui leur donnait le droit d’entrer dans n’importe quelle auberge de l’empire et de s’y faire servir à volonté et gratuitement de la vodka, sur présentation de ce gobelet, qui en était alors dûment rempli... Sauf, qu’évidemment, vu l’état lamentable dans lequel ils finissaient par se retrouver, ils perdaient le gobelet en question ou se le faisaient voler, bref, la tsar imagina un système plus simple.
Les serviteurs méritants se verraient désormais apposer un coup de tampon encré aux armes du tsar sur le haut du cou, sous le menton. Ainsi, les heureux récipiendaires, en pénétrant dans une auberge levaient-ils la tête et l’inclinaient de côté pour découvrir la marque et la montraient de l’index à l’aubergiste pour attirer son attention.

Et la tradition s’est maintenue depuis le XVIII e siècle. Si vous rencontrez un Russe qui, tout à coup, au cours de la conversation fait ce geste d’un œil égrillard, ne vous y trompez pas, c’est picoler, qu’il veut...

C’est tout au moins l’histoire qui m’a été racontée. Si certains ont des précisions, je suis preneur.

mardi 8 septembre 2009

Billie sings the blues

Je me suis toujours refusé à essayer d’interpréter le talent d’un musicien ou analyser ses œuvres à la lumière de sa vie privée.
Il s’agit toujours d’une piste décevante, qui donne l’illusion que l’on a compris quelque chose, mais en réalité qui éloigne de l’œuvre elle-même. Je me fiche éperdument de savoir que telle symphonie de Beethoven a été composée après une rupture amoureuse ou dans une phase de bonheur. Car, à ce compte-là tout le monde pourrait être Beethoven.

Pourtant, pour Billie Holiday, il me semble qu’ignorer sa vie c’est mal appréhender cette chanteuse, en perdre une dimension importante.
Celle que les spécialistes considèrent volontiers comme la meilleure chanteuse de jazz de tous les temps n’est pas a priori bien impressionnante et comprendre les raisons pour lesquelles un Miles Davis, un Frank Sinatra, un Louis Amstrong ou une Ella Fitzgerald lui ont voué une telle admiration n'est pas immédiat.

Une voix un peu voilée et plutôt sobre, peu puissante et qui doit beaucoup à l’utilisation du micro, un vibrato léger et de la justesse au niveau de l’exécution, c’est à peu près tout ce que l’on peut en dire sur le plan technique.
Ensuite, on s’étonnera chez cette très belle femme de la dégradation de ses traits puis de sa voix et on s’intéressera à sa vie. Un enfer qu’elle a raconté dans son autobiographie : « Lady sings the blues ».

Un enfer total, de sa naissance à sa mort. Plus ou moins abandonnée, maltraitée par sa famille, violée à l’âge de 10 ans par un voisin, prostituée par sa mère, alcoolique et lourdement droguée, escroquée, tabassée par ses hommes, endettée, emprisonnée… À côté, même la vie de Tina Turner ressemble à une bluette.

Alors, l’entendre et la voir chanter avec cette sobriété, cette malice, cette légèreté ou cette gravité, ce magnifique swing un peu traînant, on le prend à la fois comme une politesse exquise envers nous, celle de ne pas nous ennuyer avec ses histoires et, pour elle, une sorte de parenthèse de bonheur au milieu de ses souffrances.

La voici dans « My man » qui est à l’origine une chanson française composée par Maurice Yvain (1920) chantée par Mistinguett et Edith Piaf, entre autres, sous le titre « C’est mon homme ».



Également dans "Strange Fruit". Pour en savoir davantage sur cette chanson.




Janis Joplin, Maria Callas, Billie Holiday, trois divas aux destins douloureux qu'il m'a plu de réunir ici.
Je les aime toutes les trois.

vendredi 4 septembre 2009

L'affaire Callas

Le drame essentiel du destin de Maria Callas, celui qui éclipse tous les autres, a été la détérioration de sa voix ; et on ne peut mesurer l’ampleur de cette tragédie qu’en se penchant sur la valeur exceptionnelle, hors norme, de ce qu’elle a perdu.

Pour bien comprendre, l’ambitus ordinaire des sopranos, c'est-à-dire l’écart entre la note la plus grave et la plus aiguë, est de l’ordre de deux octaves et la tessiture se situe entre le Do3 et le Do 5, ce dernier étant le fameux « contre-ut ». C’est la zone où elles chantent normalement sans trop d’efforts. ( Le chiffre indique le numéro conventionnel de l’octave. Comme repère, le La du diapason, celui de la tonalité du téléphone en France est un La3.) Les voix sopranos les plus aiguës peuvent aller jusqu’au Mi5 (contre-mi) et très exceptionnellement au delà.



(Cliquer sur l'image pour agrandir)

La tessiture constatée de la Callas au meilleur de sa forme allait du Fa#2 au Mi5 ( on rapporte même un contre-fa poussé par erreur, mais sans preuve certaine), soit presque trois octaves. Autrement dit elle couvrait une tessiture allant du grave d’une contralto à celle d’une « soprano coloratur ». Renseignement pris, il semblerait bien qu’il s’agisse d’un cas unique lui permettant, vocalement parlant, d’interpréter n’importe quel rôle féminin du répertoire lyrique (1). Je parle ici de l'ambitus, car pour ce qui est de la note la plus aiguë, il y a eu mieux, mais pas souvent. La cantatrice actuellement dans le circuit qui a ( qui avait, pour être plus exact) la voix la plus haute est Natalie Dessay ( contre-sol# dans Lakmé en 1999), mais on est encore loin de Mado Robin : contre-contre-ré ! (Ré6, ce qui est semble-t-il la note la plus haute jamais atteinte par une voix humaine, au moins depuis que l'on dispose de traces).
Autre caractéristique de la voix de la Callas, sa puissance vraiment exceptionnelle que l’on mesure à un détail stupéfiant : elle était capable de faire un diminuendo sur un contre-mi dans La Somnanbula (Bellini) , ceci a été enregistré au cours d’une prestation en direct.
Pour bien comprendre où se situe l’exploit, ces notes limites, suraiguës, chez les cantatrices ne peuvent être chantées autrement qu’à une puissance maximale. Faire un diminuendo (ou decrescendo, c’est la même chose) sur une note que l’on ne peut sortir qu’à pleine puissance est théoriquement impossible. Pourtant elle l’a fait…
À ces caractéristiques purement techniques s’ajoute enfin un timbre très particulier, reconnaissable entre mille surtout dans le registre médium. Timbre, d’ailleurs, qu’une stricte orthodoxie classique qualifierait certainement de laid. En tout cas pas vraiment « pur ».
Les qualificatifs des techniciens du chant sur la voix de la Callas à sa grande époque sont unanimes et dithyrambiques.

On l’entendra ici dans Casta Diva ( La Norma, Bellini) lorsqu’elle avait encore sa voix unique. Un de ses plus grands succès, qu’elle doit aussi à son incroyable investissement dans l’interprétation des rôles qu’elle a joués.
A titre personnel, je ne suis pas fan d’opéra et je n’aime pas beaucoup le chant classique : voix trop forcées, vibratos insupportables, prononciation ridicule etc. Mais entendre cela continue de me sidérer et de m’émouvoir au plus profond de mes tripes.



Que c’est-il donc passé pour qu’elle perde une voix aussi exceptionnelle ?

Si l’on en croit tout ce qui a été écrit sur le sujet, les raisons en sont multiples et Maria Callas a eu la malchance qu’elles se soient conjuguées à peu près simultanément...

L’une des causes les plus étranges et sur laquelle l’expérience des cantatrices a été très largement en avance sur les constatations du milieu médical (qui n’a vraiment reconnu le fait que depuis une vingtaine d’années) est le rôle de la diminution des œstrogènes. Lorsque la production de ces hormones féminines diminue ou s’arrête, la voix se durcit, perd de sa puissance et devient plus grave. Phénomène léger et temporaire durant les règles (2), il est définitif et parfois violent au moment de la ménopause. ( On cite le cas de la malheureuse Christa Ludwig à qui s’est arrivé en plein concert durant une représentation de Don Carlos). Et la malchance a voulu que la Callas ait été ménopausée très tôt, au tout début de sa quarantaine.( 3)

Une autre cause invoquée, qui n’a pas manqué de m’intriguer, est son amaigrissement.
Jusqu’à l’âge de 30 ans Maria Callas a été, comme presque toutes les cantatrices de son époque, assez boulotte et c’est semble-t-il à l’occasion d’un opportun ténia suivi d’un régime constant, qu’elle a considérablement maigri et qu’elle s’est maintenue dans sa nouvelle silhouette. Mais les techniciens du chant expliquent que ce n’est pas sans conséquence sur la puissance du souffle. C’est ce que pense notamment la soprano Renée Fleming citée par Wikipedia :
«J'ai ma propre explication au sujet de son déclin vocal. C'est plus en la regardant chanter qu'en l'écoutant que j'ai acquis la conviction que c'est son amaigrissement important et rapide qui est à incriminer. [Les enregistrements vidéo de Callas réalisés à la fin des années 1950 et au début des années 1960, révèlent des problèmes de souffle].
Ce n'est pas la perte de poids en elle-même... mais si quelqu'un se sert de son poids pour assurer son souffle et que ce poids diminue fortement, cette personne, si elle n'a pas développé une musculature de rechange, aura des problèmes de voix. Quelqu'un m'a dit que la manière dont Callas portait ses mains à son plexus lui permettait de « pousser » et, par là même d'obtenir une sorte d'appui. Si elle avait interprété des rôles de soubrette, elle n'aurait pas connu de problème. Mais elle chantait les rôles les plus difficiles du répertoire, ceux qui nécessitent le plus de vigueur ».

Autrement dit, sans doute pour plaire à des hommes, elle a sacrifié sa voix….
Circonstance aggravante, l’absorption de psychotropes d’abord régulière puis massive après sa rupture avec Onassis a eu également un effet secondaire hypotonique et hypotenseur désastreux sur sa musculature vocale.

On a enfin évoqué, comme cause de la perte de sa voix, un travail excessif dans des registres qui n’étaient pas vraiment les siens.
Elle était probablement une mezzo-soprano naturelle et ce n’est qu’au prix d’un entrainement acharné qu’elle avait réussi à atteindre dans le grave le registre d’une contralto et dans l’aigu celui d’une coloratur. Selon certains spécialistes, interpréter trop de rôles difficiles dans ces registres forcés (notamment les rôles wagnériens) aurait fini par épuiser sa voix. Et, à l’appui de cette explication, il faut incontestablement noter l’enchaînement, parfois le cumul incroyable de ses prestations.

Après Janis Joplin, voilà encore un autre destin de chanteuse : à la mort brutale par overdose de l’une, répond la dégradation d'une voix sublime pour l’autre. Mais dans les deux cas cela se termine par une forme de suicide…

Notes :
(1) On oubliera le cas Yma Sumac qu’on n’a jamais entendu chanter un opéra et dont les performances vocales sont assez suspectes.

(2) Lorsqu’il m’est arrivé d’être interprète pour le Marinsky (ex-Kirov) au cours d’une de leurs tournées en France, j’avais été surpris que certaines choristes féminines soient, de temps en temps, dispensées de répétitions. Lorsqu’à mes questions il m’avait été répondu que c’était en raison leurs embarras périodiques, j’avais haussé les épaules croyant à un reliquat de règlement bureaucratique obscurantiste hérité de l’époque soviétique…

(3) Il ne faut probablement pas chercher ailleurs la réorientation récente de Natalie Dessay à l’âge de 47 ans vers des rôles exigeant moins de notes extrêmes.

lundi 31 août 2009

Le pouvoir de la gamme pentatonique


Vidéo très intéressante. Je remercie, au passage, l'ami qui me l'a fait parvenir et qui se reconnaîtra !

Pour en savoir plus sur Bobby Mc Ferrin.

Il prétend que n'importe où dans le monde, le public réalise facilement cet exercice, ce qui tendrait à démontrer que cette gamme à cinq degrés serait la plus "naturelle". J'avoue être sceptique ; je soupçonne ce public d'être composé (assez logiquement) de mélomanes et je doute que, surtout vers la fin de l'exercice, n'importe lequel soit ainsi capable de respecter les notes qu'il indique par ses déplacements.

Mais je suis un indécrottable sceptique...

Traduction des échanges à la fin de la vidéo (merci, mon Philou !) :

Mc Ferrin : « Ce qui m'intéresse là-dedans, c’est que, où que je sois, partout, le public arrive à ça. C’est indifférent, vous voyez, la gamme pentatonique, j’ignore pourquoi. »

Un autre : « Si vous cherchez un job dans les neurosciences... » ( j’aurais quelque chose pour vous) [rires]

Un troisième, à un autre : « Juste pour formuler le problème scientifiquement : Larry, mais bon sang, qu’est-ce qui s’est passé, là ? » [rires]


jeudi 27 août 2009

La cuisine russe en danger ?

Certaines informations en provenance d’amis qui vivent en Russie ou qui y vont régulièrement sont inquiétantes : à Moscou il est devenu difficile de trouver un restaurant qui propose de la cuisine russe traditionnelle et, plus inquiétant encore, la carte y est souvent très réduite. Pour manger russe il faudra bientôt se rendre à Paris ou à Bruxelles pour y consommer, d’ailleurs, toujours les mêmes borchtch, chachliks ou pelemenis et à des prix exorbitants…

Il est certain que le communisme et ses pénuries n’a pas été favorable à la continuité de la gastronomie russe et, contrairement à la période tsariste, aucun cuisinier venu d’occident n’est venu compléter ou inventer en matière culinaure durant cette période.

Ce n’est que tout récemment, que quelques chefs français embauchés dans des hôtels moscovites s’y sont intéressés, ont fait l’effort de trouver des babouchkas qui leur ont transmis les recettes et les ont parfois réinterprétées d’une façon moderne, au grand étonnement des indigènes...
Ces nouveaux Russes tirent un peu vite un trait sur un immense patrimoine culinaire très original, se ruant sur des cuisines exotiques ou française ou italienne. Ils s’emploient tellement à copier les pays occidentaux qu’ils sont en train de perdre bêtement des savoir-faire ancestraux, et ce qui est vrai des constructions de maisons en bois l'est également de la cuisine.

Dieu sait portant si les Russes avaient un savoir-faire en la matière !

Par exemple, un véritable génie en matière de soupes, délicieuses, où ils utilisent même du kvass (boisson à base de pain de seigle fermenté) ou de la saumure à cornichons. Et ils arrivent à faire de la très bonne soupe avec du poisson de rivière !
Leurs préparations de conserves à base de marinades et saumures très variées sont intéressantes. Ils ont même des techniques pour rendre comestibles certains champignons dont la cueillette est chez nous fortement déconseillée comme la « gyromitre comestible » (Gyromitra esculenta).
D’une manière plus générale, la Russie par ses ressources agricoles, ses dimensions, ses brassages culturels ne pouvait qu’avoir une cuisine très variée. Mais il faut aussi reconnaître qu’elle demande souvent énormément de temps de préparation, beaucoup de main d’œuvre, ce qui la rend est un peu inadaptée au mode de vie moderne et urbain.

On en trouvera un descriptif assez complet sur Wikipedia. Je regrette que l’article n’ai pas mentionné le Kissiel, véritable curiosité gastronomique et physique puisqu’il s’agit d’un fluide antithixotropique, c’est à dire qui possède la propriété de voir sa viscosité augmenter quand on le soumet à des actions mécaniques comme le touiller et de revenir à une forme plus liquide lorsque l’on cesse de le faire.

Bref, Russie, ta cuisine fout le camp, il faut faire quelque chose !

A mon modeste niveau, j’ai créé la Secte des adorateurs du Kissiel dont je me suis décrété grand-maître. Déjà deux adeptes nouveaux ont réussi à produire cette délicieuse chose bizarroïde à partir de mes indications.

On recrute !

jeudi 20 août 2009

mardi 18 août 2009

Janis


On commémore ces temps-ci le quarantième anniversaire du rassemblement de Woodstock, considéré comme le point culminant du mouvement hippie aux USA.
Or il y a eu un autre festival deux ans auparavant, le premier de l'Histoire, dont on a également tiré un film « Monterey pop », bien plus intéressant sur le plan musical..
Il a été mon film-culte à moi, celui que j’ai été voir et revoir plus de dix fois au cinéma. C’est là que j’ai vu pour la première fois, à côté d'artistes déjà connus comme Otis Redding, un certain nombre de musiciens dont la renommée était encore plus ou moins confidentielle en France à cette époque : Jimmy Hendrix, Jefferson Airplane, Cannet Heat, les Byrds, Grateful Dead, les Animals, les Who… On trouvera ici la liste de tous les participants de ce festival qui a duré trois jours et où les artistes ont tous joué gratuitement (Ce qui explique en partie que ni les Stones, ni le Beatles, déjà fortement encadrés sur le plan commercial, n’y étaient).

Mais celle qui m’a vraiment scotché sur mon fauteuil, d’autant que j’en n’avais jamais entendu parler, c’est Janis Joplin dans Ball and Chain.
Contrairement aux autres qui étaient frigués à la mode hippie multicolore et extravagante, elle était en tunique–pantalon en maille claire, très classe, avec des mules à petit talon, mais sa furieuse chevelure en vrac.
Malgré son calamiteux guitariste, lorsque ce petit bout de bonne femme se mettait à rugir ho-o, wowou-wowou-wo, en frappant du pied, j’avais le cœur qui en oubliait de battre, me disant que ce n'était pas possible, qu'elle allait rendre ses tripes sur scène... ( Mama Cass, l'imposante chanteuse des Mamas and Papas que l'on voit en plan de coupe est tout aussi stupéfaite de la performance.)


Janis Joplin Monterey Pop Festival 1967 (Ball and Chain)

J’ai revu ce film une fois, plus de vingt ans après, avec mon fils déjà adolescent.
Entre temps, beaucoup de ces artistes étaient morts prématurément : Ottis Redding, Mama Cass, Keith Moon, (le batteur des Who), Jimmy Hendrix et Janis Joplin. Overdose d’héroïne pour elle.
Quand, ressuscitée à l'écran, elle a attaqué Ball and Chain et qu'elle s’est remise à éructer comme un diable, je m’ai pu retenir mes larmes dans cette salle obscure en pensant à son destin épouvantable.
Par quoi est alimentée une telle rage, une telle souffrance ? C’est un mystère. Celui de l’artiste qui, d’une certaine manière, a la chance de pouvoir en faire quelque chose de socialement utile en médiatisant ses émotions par une technique. Mais on ne dira jamais assez combien il est souvent sur une corde raide, à la limite de basculer définitivement dans son mode intérieur, celui de l’indicible et de l’enfermement suicidaire sur soi.
L’artiste a droit au respect. C’est grâce à lui que le bourgeois peut se donner des frissons à contempler l’horreur, le sublime ou la passion extrême sans prendre de risque pour lui-même. Parce que c’est l’artiste qui les prend à sa place.

vendredi 7 août 2009

Conversation à une voix autour d’Orphée et Eurydice

Le père, à sa fille de seize ans :

« Tu te trompes, ma chérie, sur le sens à donner au mythe d’Orphée et Eurydice : ce n’est pas une bouleversante histoire d’amour, mais une horrible déclinaison de celle de Prométhée, c’est-à-dire du combat que l’homme mène contre les dieux à s’approprier des pouvoirs qui leur appartiennent.
«Orphée est un humain, même pas un demi-dieu, c’est un point très important de ce mythe. Il a reçu par la naissance et obtenu, grâce à son travail, le talent de jouer de la musique. Mais pour en faire un grand musicien il avait fallu l’intervention d’Apollon, car seuls les dieux contrôlent le temps. Or la musique est une maîtrise du temps.
«Oui, Orphée l’aimait son Eurydice, ô combien il l’aimait… Contempler son visage, ses yeux surtout, cette porte vers son âme infinie… Cette ivresse d’elle qui lui dictait les sons, poussait la voix, mettait ses mains en mouvement sur les neuf cordes de sa lyre, une par muse…
«Mais tu as raison sur un point : comme il n’y eut jamais d’amour humain aussi grand, il fallut bien que les dieux, jaloux, s’en mêlent…

«Lorsqu’Eurydice meurt, piquée par le serpent, cet amour qu’Orphée lui porte est impuissant à la sortir des enfers. C’est son pouvoir musical, celui qu’il tient d’Apollon, qui le lui permettra : de son chant, il envoûtera le chien Cerbère, les terribles Euménides et parviendra jusqu’à Hadès.
«Mais lui, ce n’était pas pareil : Hadès était un dieu. La musique ne pouvait endormir un dieu…
«Pouvait-elle l’attendrir au moins ? Non, car les dieux n’ont pas de cœur. Ils jouent aux dés. Et ils peuvent rejouer, ouvrir des possibles aux destinées humaines.
«Hadès a relancé les dés pour Orphée et Eurydice…
«Mais il savait ce qu’il faisait en posant à Orphée comme condition de ne pas se retourner sur Eurydice, ni lui adresser la parole avant qu’ils soient sortis des enfers… Tu crois sans doute qu’il savait Orphée incapable de résister à la tentation ? A cause de son amour et de son désir pour elle ?
«Non, ce n’est pas tout à fait cela…
«Contrairement aux dieux qui se suffisent à eux-mêmes, les humains ont besoin du regard de l’autre, de l’être aimé pour produire, créer, se sublimer. Et comment Orphée, pour réussir à quitter les enfers, aurait-il pu rester assez inspiré et talentueux pour maintenir Cerbère à sa niche et les Euménides endormies au fond de leur grotte sans plonger ses yeux dans l’infini de ceux d’Eurydice ?
«Il le savait ce salaud d’Hadès…
«Les dieux en avaient décidé ainsi : les humains ne peuvent s’approprier leurs pouvoirs.
Prométhée en avait été puni. Mais si sa punition a été légère comparée à celle d’Orphée, c’est que la musique est un grand pouvoir divin. Bien plus grand que le feu. »

lundi 3 août 2009

"Je l'attends"





La nouvelle "Je l'attends" a été transférée sur ce blog

Il n’y a pas que moi : Berlioz et l’Allegretto de la 7e de Beethoven.


Les écrits de Berlioz sur la musique sont souvent passionnants. On trouvera sur ce site, à propos de la 7e symphonie, ce que pensait le Maître de cet "allegretto" qui continue de tant m'impressionner:


vendredi 31 juillet 2009

Une affaire de ponctuation.



Peu de musiques ont exercé sur moi une fascination comparable à celle que produit le 2e mouvement de la 7e symphonie de Beethoven, le célébrissime allegretto.
A l’époque de mes études de musicologie avec Davorine Jagodic, nous avions à remettre l’analyse d’un morceau de notre choix, à condition qu’il soit approuvé par l’enseignant. J’ai pensé naïvement que me plonger dans la technique d’écriture de ce mouvement me débarrasserait du mystère et de l’exaltation qu’il produisait sur moi, supputant que d’en comprendre les « ficelles » me guérirait de l’espèce d’extase quasi mystique qui s’emparait de moi à chaque fois.

C’est le contraire qui se produisit : non seulement le frisson ne disparut pas, mais l’analyse n’a fait que renforcer ma passion paradoxale pour ce morceau si énigmatique.

Les interrogations, en effet sont nombreuses et la première d’entre elles est bien l’indication de tempo. L’expression : « allegretto » correspond en principe à un tempo qui ne peut être inférieur à 100 battements par minute. Or une exécution à ce tempo est tout simplement impossible. La vitesse indiquée par Beethoven est de 76, mais ce mouvement n’est jamais joué à ce tempo, les vitesses couramment utilisées vont de 55 à 69 à la noire… donc nettement plus lentement.

S’agit-il d’une erreur de Beethoven ?
Certes le métronome de Maelzel n’a été breveté qu’en 1816 alors que la symphonie date de 1812, mais tout de même, l’indication italienne est assez parlante pour qu’on ne commette pas l’erreur de confondre une danse avec une marche funèbre, ce qu’est à l’évidence cet « allegretto »… Alors, qu’a-t-il voulu dire sur sa musique ? Sa souffrance d’être sourd et de ne pouvoir l’entendre ? Sa mort comme une délivrance sur un rythme composé d'un dactyle et d'un spondée (une longue - deux brèves, deux longues) ?

Mais, à coup sûr, il devait attacher une importance particulière à cet allegretto
En effet, le mouvement commence par un mystérieux accord de la mineur tenu sur deux mesures à deux temps. Mystérieux pour deux raisons : d’abord parce qu’on le retrouve à l’identique à la fin du mouvement, plaqué comme un cheveu sur la soupe. On se demande vraiment ce qu’il vient faire là… Mystérieux ensuite, parce que l’on sait que Beethoven les a rajoutés au moment où il remettait son manuscrit entre les mains de son éditeur : il s’est ravisé, a été chercher une plume et a jeté ces deux accords au début et à la fin du mouvement.
Comment interpréter cela ?

Trop habitués que nous sommes aux musiques improvisées on finit par oublier que des compositeurs de ce niveau-là, avec un tel « métier », capables d’écrire de la musique à peu près comme nous respirons, lorsqu’il passent un mois ou plus sur une page, ou qu’ils se livrent à une modification comme celle-ci, il s’agit d’un acte beaucoup plus réfléchi qu’on ne l’imagine. La musique savante, il faut le dire bien haut, est une forme de pensée…
Alors comment interpréter la présence de ces deux accords ?

Peut-être faut-il laisser son esprit vagabonder…
D’une certaine manière, ces deux accords sont comme deux portes qui ouvrent et qui ferment cette marche funèbre. Elle a, d’ailleurs, a été à ce point considérée comme un morceau à part entière (et non un mouvement, une péripétie d’une musique plus large) que le public, lors des deux premières exécutions de la symphonie, a exigé qu’il soit bissé… Une porte donc, mais vers quoi ? Faut-il y voir dans la précipitation de cette indication une forme d’humilité ? La vraie musique c’est cela et pas ce qu’il y a avant ou après ? « Nous interrompons le cours normal de la musique pour vous faire parvenir cette musique essentielle… ». Ou au contraire : « C’est une digression, n’y attachez pas d’importance… ».
Autrement dit, il faut sans doute concevoir cet accord double comme deux signes de ponctuation.

Mais lesquels ? Des parenthèses ou des guillemets ?

mercredi 1 juillet 2009

Un rêve de Baïkal


Ah le lac Baïkal, le père de tous les lacs, le plus grand, le plus profond, le plus ancien du monde !…
Comme Boris Vian, « je voudrais pas crever » avant d’avoir bû de son eau, contemplé ses nuits bleues d’hiver, observé ses nerpas, phoques d'eau douce aux yeux globuleux, des yeux pour les plongées des grandes profondeurs. Je voudrais goûter l’omoul fumé, l'offrande que le lac fait à ses visiteurs.
Je voudrais voir cette golomianka et vérifier qu’on ne m'a pas raconté d’histoires, qu’il s’agit bien d’un poisson transparent, que je peux lire mon journal à travers, qu’il se liquéfie au dessus d’une température de 7 °ne laissant plus que les arrêtes.
Je voudrais me baigner l’hiver dans ses sources chaudes, au milieu de la neige, observer les furtives zibelines. J’aimerais rester la nuit à écouter les loups hurler avec l’espoir de les voir se découper à l’aube, au loin, sur la lune blanche.
Je me réfugierai dans la tiédeur d’une isba de bois et je tremblerai en apercevant un ours en hiver, un de ceux que les Sibériens appellent chatoun, un de ces animaux devenus fous par une carence de graisse qui, au lieu d’hiberner, errent sans fin dans la taïga, jusqu’à en mourir.
Je verrai peut-être cet aigle de Sibérie qui, dans la chanson, apportait au soldat le salut de Katioucha, celle qui "gardait l’amour" pendant que lui, "gardait la patrie".
J’aimerais tant vérifier que l’eau du lac est si claire qu’on en voit le fond jusqu’à 40 mètres et me jeter en été dans ses eaux glacées pour me guérir de tout, parce que les chamans bouriates m’auront révélé que le lac n’est pas un lac mais un être vivant, un magicien et un guérisseur. Mais aussi un « vieux » susceptible et colérique.

Je voudrais trinquer avec les Sibériens, ceux dont les Russes vous souhaitent d'avoir la santé, goûter leur vodka si pure grâce à l’eau du lac, chanter avec eux à quatre voix, debout sur la falaise, espérant que le sarma, l'un des vents furieux du Baïkal en fasse parvenir les notes à d’autres humains sur la rive d'en face.
J’aimerais voir comment, l’hiver, des aiguilles et des dentelles de glace semblent crachées par le lac, enfants violents des masses liquides qui s’entrechoquent et que le froid semble figer pour l‘éternité…

Baïkal, ô mon Baïkal, je ne sais si tu es mon Arbat à moi comme dans la chanson d’Okoudjava : « ma religion, ma joie et mon malheur »…

Mais tu es surtout mon rêve de nuit bleue.

(Photo : Sylvain Tesson, Thomas Goisque)

lundi 29 juin 2009

Ma frustration d’Oum Kalsoum.


L’adoration dont est l’objet la chanteuse Oum Kalsoum dans tout le monde arabe, même plus de trente ans après sa mort, est inimaginable. Réellement inimaginable…
Pourquoi j’y pense aujourd’hui ? Je ne sais. Peut-être à cause des manifestations que les marchands de soupe préparent pour l’enterrement de Michael Jackson qui m’ont rappelé a contrario la ferveur populaire et spontanée qui a entouré la mort de la Diva….

Considérée dans cette culture comme la plus grande chanteuse et musicienne de tous les temps, Oum Kalsoum a reçu les surnoms les plus extravagants : « Astre de l’Orient », « Diva du monde arabe » « Rossignol d’Egypte », « Quatrième pyramide »…. On allait à ses concerts comme à un pèlerinage et l’on pouvait mesurer la fascination qu’elle exerçait tous les premiers jeudis du mois, à partir de l’année 1937, de novembre à juin, où elle donnait (en direct, évidemment) un concert de deux heures à la radio égyptienne. Selon les témoignages dont on dispose, tout le Moyen Orient, tout le Maghreb qui pouvait capter cette radio s’arrêtait de respirer, les rues se vidaient, la circulation se raréfiait, plus aucune activité n’avait lieu : toute la population s’agglutinait autour de postes de radio pour l’écouter.

Les seuls récitals qu’elle donna en 1967 en France à l’Olympia devant un public presque exclusivement musulman donnèrent lieu à des scènes d’exaltation collective stupéfiantes rapportées par les journalistes de l’époque qui découvraient avec étonnement le phénomène.

C’est à son enterrement que l’on mesura le mieux l’adulation dont elle était l’objet. On a estimé le nombre de personne présentes au Caire, dans le cortège de ses funérailles, à près de trois millions, à peine moins que pour le décès de Nasser. Les Cairotes en pleurs, littéralement traumatisés, se sont emparés de force de son cercueil dans le cortège officiel et l’ont promené des heures durant dans tous les lieux du Caire qu’elle aimait jusqu’à une mosquée où un imam a fini par persuader la foule de la laisser désormais reposer en paix.

Il est très rare de trouver dans l’Histoire une artiste qui fasse à ce point l’unanimité, aussi bien parmi le public qu’au sein des meilleurs musiciens et spécialistes de la musique qu’elle pratiquait (la musique arabe dite « classique » ).
Je veux dire par là que même si une partie de sa popularité tient à des considérations extra-musicales, ( son nationalisme, sa modernité, son investissement caritatif) aucune discussion n’est possible sur son immense talent. Aucune. Et le qualificatif « d’immense » semble faible.

Aussi j’éprouve une frustration immense à être totalement incapable de le percevoir...

J’ai beau visionner des vidéos d’elle, me renseigner, écouter, essayer de lire des traductions en anglais de ses textes, je constate sans le comprendre ce que les arabes appellent le « tarab », cette communion entre le public et la chanteuse, où celle-ci est poussée par lui dans de longues improvisations ( par exemple, les concerts de l’Olympia : six heures, mais seulement trois chansons !).

Sa voix était probablement très puissante si j’en juge par la quasi absence d’amplification lors de ses concerts. La Callas elle-même trouvait sa voix de contralto et mezzo-soprano « incomparable » pour sa flexibilité et sa capacité à chanter des phrases musicales d’une extrême subtilité.
Ne comprenant pas l’arabe, il m’est impossible d’adhérer aux textes et à l’expressivité qu’elle y mettait, ce qui semble, si j’en juge par les commentaires des spécialistes, la clé de son talent. Ses chansons, écrites par de grands poètes arabes, parlaient d’amour, de la patrie, de religion… Et impossible de trouver la moindre traduction en français sur internet.

Hélas, la musique, contrairement à beaucoup de lieux communs, n’est pas universelle. Et pour moi, être incapable d’apprécier celle d’Oum Kalsoum, restera pour toujours une grande frustration…

Pourtant, on aurait envie...

samedi 27 juin 2009

Les idiots et le "génie" de Michael Jackson


La mort de Michael Jackson est l’occasion pour un certain nombre d’idiots de parler de son « génie » ce qui, tout de même, ne manque pas de m’interpeller...

Outre que le terme de « génie » ne peut désigner qu’une qualité rarissime, il faut affirmer avec force qu’elle est celle du non-reproductible. Si Mozart peut être qualifié de « génie » c’est parce que l’on est incapable de composer à sa manière, ne comprenant toujours pas comment sa musique est fabriquée.
A cette première considération il faut en ajouter une autre, qui devrait pourtant être évidente : le génie d’un individu a pour corollaire, en principe, qu’il soit (au moins au début), totalement incompris, ce qui est incompatible avec le succès planétaire des tubes de Michael Jackson…

Mais bon, le plus grave dans cette affaire, c’est que ses admirateurs inconditionnels tombent dans le travers classique d’une forme de relativisme culturel qui limite la qualité artistique d’une œuvre au fameux « j’aime » ou « j’aime pas ». Ce qui les conduit effectivement à la lier au succès commercial ou à l’intensité de l’émotion personnelle qu’elle leur procure, laquelle dépend au moins autant de l'éducation ou de l'état d’esprit du moment que de la qualité de l’œuvre.
Il faut tout de même affirmer avec force qu’en matière d’art, il en est exactement comme ailleurs : seuls des sociologues peuvent valider la qualité du travail d’un sociologue, seuls des scientifiques peuvent juger celui d’autres scientifiques.
En musique c’est exactement pareil : certaines œuvres peuvent plaire ( ou déplaire) à un plus ou moins grand nombre d’individus, cela n’a absolument rien à voir avec leur qualité intrinsèque, laquelle ne peut vraiment être validée que par d’autres musiciens. En d’autres termes il y a une objectivité de la qualité de l’œuvre d’art, n’en déplaise aux obsédés du marché…

On ne trouvera pas un musicien sérieux pour qualifier l’œuvre musicale de Michael Jackson de « géniale ».
D’abord, son œuvre digne d'intérêt est très restreinte... Seuls quatre ou cinq titres surnagent, et si l'on y trouve une utilisation intelligente des machines, synthétiseurs, boîtes à rythmes et autres sequencers, l’essentiel est dû aux arrangements et à la production de Quincy Jones avec quelques « gimmicks » qui sont probablement de lui.
Si l’on essaie de juger sur des critères "vérifiables", voici ce que l’on peut en dire : d’un point de vue mélodique c’est très élémentaire, peu élaboré, peu créatif. Harmoniquement c’est du niveau « guitariste débutant », trois ou quatre accords par titre, guère plus. Sur le plan rythmique c’est simple mais efficace. Sur le plan de l’interprétation vocale, en revanche, c’est enlevé, « pêchu », juste, très pro, rien à dire. Les arrangements, eux sont généralement impeccables et avec quelques vraies trouvailles.
Mais tout cela reste un peu court pour crier au "génie" sur le plan musical...

Reste qu’en tant que danseur, là, il a été vraiment formidable.
Mais s’il est à ce point adulé par toute une génération, c’est parce qu’il a été la concrétisation la plus exemplaire des pires dérives idéologiques et culturelles de ces années-là : la "starisation", la « variétisation » de la pop-music avec sa simplification pour les besoins du marché le plus large, le déplacement de l’écoute musicale vers la perception visuelle (avec comme corollaire son appauvrissement) en faisant de la musique un accessoire du clip. Michael Jackson, faut-il le dire, est contemporain du déferlement de l'idéologie néolibérale sur le monde qui a définitivement fait de la culture populaire une marchandise comme les autres, dont le seul valorimètre est le chiffre des ventes et l'argent qu'elle rapporte.

Non, il ne suffit pas d’être fêlé pour être un génie…

dimanche 21 juin 2009

Enigmes pourpres


Comme tout le monde je suppose, il m’est arrivé de tomber, dans mon enfance, sur des énigmes dont la solution ne m’a été connue que beaucoup plus tard.
Je me souviens ainsi d'une phrase de mon livre d’histoire de CM2 qui expliquait que la Marseillaise avait été composée par "un officier du génie" du nom de Rouget de Lisle. De longues années, avant d’apprendre que « le génie » désignait aussi au sein des armées les gens chargés des constructions et aménagements de terrain, je me suis perdu en conjectures, me demandant bien ce que ce soldat et son œuvre avaient de si génial, la Marseillaise ne me semblant pas mériter un tel qualificatif. Et je n’osais pas poser la question à mes maîtres de peur de commettre un blasphème…

Une autre énigme, celle dont il va être question ici, n’a trouvé sa réponse qu’assez tard.
J’ai eu la chance de faire du latin de la sixième à la terminale et à ce titre j’avais avec mes camarades des cours nombreux sur la Rome antique. Et j’ai toujours été intrigué par cette couleur pourpre dont les Romains semblaient si friands mais qui était utilisée avec une telle parcimonie que les toges des sénateurs en avaient juste une bande. Pourquoi cette couleur et pas une autre, et qu’avait-elle donc de si particulier pour que Néron, dans sa folie, eût décidé de la réserver à son usage exclusif sous peine de mort ?

Je connais désormais les deux réponses à cette énigme venue du fond de mes humanités.
1. La teinture pourpre de l’antiquité qui est en réalité un ensemble de couleurs allant du rose au violet suivant les variétés de coquillages et les procédés de teinture ( la couleur la plus recherchée étant un rouge profond ) était la seule teinture stable pour tissu de l’antiquité, ne « passant » pas, ni au soleil ni aux lavages. Elle s’enrichissait même, avec le temps, de teintes nouvelles, plus profondes et plus lumineuses.
2. A cette propriété exceptionnelle s’ajoutait le coût exorbitant de la matière qui était, il faut le savoir, la plus précieuse de l’Antiquité, bien plus que l’or, l’argent ou quelque pierre que ce soit. La raison en est simple, d’après les calculs du chimiste Fiedlander il fallait environ dix mille murex pour obtenir un gramme de teinture pure. Et avec un gramme on ne devait pas pouvoir teindre une surface bien grande… La main d’œuvre servile était certes bon marché mais tout de même, entre le ramassage, le travail minutieux pour en extraire la partie utile, puis la macération et les autres opérations nécessaires à la teinture, on comprend mieux pourquoi, lorsque Alexandre le Grand s’empare de Suze et y trouve cinq mille quintaux de teinture pourpre d’Hermion accumulée là depuis un siècle, il met la main sur le plus fabuleux trésor que l’on puisse imaginer dans l’antiquité…
D'après la plupart des historiens ce sont les Phéniciens qui auraient découvert le procédé. Cela est contesté par d'autres qui leur reconnaissent la diffusion commerciale dans toute la Méditerranée, mais pas l’invention qu’ils attribuent aux Egéens. Certaines cités, Tyr notamment étaient célèbres pour leur habileté.
On n’a pas retrouvé tous les secrets des teinturiers antiques mais fondamentalement les opérations principales sont les suivantes : il faut casser la coquille du murex et en extraire la partie qui contient la glande dite « hypobranchiale ». C’est une petite bande d’environ deux centimètres de long sur cinq millimètres de large et de moins d’un millimètre d’épaisseur. C’est elle qui sécrète un mucus contenant ce que l’on appelle les « précurseurs » de la pourpre qui sont, comme pour l’indigo, d’abord incolores. Ces glandes sont laissées plusieurs jours à une température d’une quarantaine de degrés dans un milieu alcalin à base d’urine et d’autres ingrédients. Les tissus sont ensuite trempés dans ces bains et exposés à l’air pour que la couleur se développe.
Ces activités dégageaient une puanteur épouvantable…Mais elles étaient si rentables que de multiples contrefaçons ont circulé tout au long de l’antiquité.
A force de ramasser des murex, l’espèce s’est raréfiée et de nouveaux procédés, moins chers, furent découverts (cochenille, particulièrement…).

Il ne me restait plus qu'un mystère à percer, son genre : c’est le pourpre ou la pourpre ?
La réponse est la suivante : le pourpre c'est la couleur, et la pourpre c'est la matière qui permet de produire cette couleur...



Ah, j'oubliais, dernière bizarrerie, "pourpre" est une exception : en tant que qualificatif de couleur se rapportant à celle d'un objet(comme marron par exemple), il n'est pas invariable et s'accorde au pluriel : "les toges pourpres des empereurs...."

jeudi 18 juin 2009

L’incroyable chant diphonique.


Ce qu’il y a de merveilleux avec la musique, c’est que la culture humaine semble infinie. On croit avoir fait le tour de certaines techniques comme par exemple celles qui permettent d’utiliser la voix pour chanter, on s’imagine que les maîtres occidentaux les ont toutes inventées, le chant de tête, de gorge, de poitrine, de ventre, de fausset et que sais-je encore, et voilà que très récemment je découvre l’existence du chant diphonique.

Il s’agit d’une technique qui permet à un chanteur de produire plusieurs notes simultanément (deux en principe). Pour être tout à fait précis il n’y a pas une mais plusieurs techniques pour parvenir à ce tour de force, et avec des résultats sonores différents. Prodige d’ailleurs tellement incroyable que lorsque les premiers observateurs européens rapportèrent au XIXe siècle l’existence de ce chant en Mongolie, ils ne furent pas crus.

Je suis incapable de vous décrire exactement la manière dont les chanteurs s’y prennent, on trouvera un article assez complet sur la question sur Wikipedia et ici, mais je trouve intéressant de constater que ces techniques essentiellement répandues en Haute Asie (Mongolie, Sibérie, Thibet) se retrouvent d’une manière tout à fait extraordinaire dans un chant traditionnel de Sardaigne, le canto a tenore, pratiqué par quatre chanteurs dont l’un au moins utilise le chant diphonique si bien qu’on a la nette sensation, en les entendant, qu’ils sont au moins cinq.

Mais le mieux est évidemment de faire entendre (il faut, sur PC, se mettre en affichage plein écran sinon, on n'accède pas à la fonction qui permet d'écouter et visualiser la transcription du chant sarde) :

D’abord le chant diphonique mongol

Puis un canto a tenore sarde (Evidemment il est faux de dire qu'aucun chanteur ne chante la 5e voix. Je suppose que le texte veut dire qu'il ne sont que quatre pour cinq voix!)

Extraordinaire, non ?

mardi 16 juin 2009

"As slow as possible" de John Cage


Depuis le 5 septembre 2001 se déroule, dans la cathédrale de Halberstadt en Allemagne, le concert le plus long et le plus loufoque du monde.
On y joue l'œuvre du compositeur américain John Cage baptisée Organ2/ASLSP sur un orgue en construction. Cette partition assez courte sur le papier (4 feuilles A4) est la version « longue » d’un partition prévue à l'origine pour piano, de 20mn. Mais quand on vous dit longue, c’est longue : 639 ans exactement, et nécessitera donc un assez grand nombre de générations de musiciens pour être jouée.
« Jouée », d’ailleurs, est un grand mot car le musicien n’intervient qu’à chaque événement prévu dans la partition, le reste du temps ce sont des poids qui maintiennent les touches enfoncées.
Les distances entre ces modifications sont à ce point considérables que c’est à chaque fois l’occasion d’un événement mondain ou des gogos (qui paient, en plus…) se pressent pour venir assister à cette arnaque artistique.
Ainsi, à ce concert qui a débuté le 5 septembre 2001 à minuit pile devant une foule compacte, on a vu des techniciens s’affairer, on a entendu le bruit de la soufflerie de l’orgue… et rien d’autre : en effet le facétieux compositeur fait débuter son œuvre par un silence de 17 mois...
Par la suite, voici les « événements » qui se sont succédés : le 5 fevrier 2003 un premier accord de trois notes (sol #, si, sol # à l’octave) a été joué ; il a duré jusqu’au 5 juillet 2005, rejoint en juillet 2004 par deux mi à un octave d’intervalle qui dureront jusqu’au 5 mai 2006. Le 5 janvier 2006 un bel accord comportant un la, un do et un fa # a été ajouté, un accord composé d’un la bémol et d’un do a été joué le 5 juillet 2008, le do a disparu le 5 novembre 2008 et un nouvel accord comportant un ré et un mi a été introduit le 5 février de cette année 2009. La prochaine modification aura lieu le 5 juillet 2010 avec la disparition du mi…

On trouve le début de la partition ( jusqu’en 2013) sur le site de la ville. Pour y lire les dates ( en rouge) il faut à la fois agrandir l’image et la regarder de loin.

En lisant ces informations, je me suis dit qu’il avait une convergence des arts post-modernes. Entre un tableau entièrement blanc et une autre œuvre du même Cage où le chef d’orchestre donne le départ d’un morceau qui n’est que du silence, il y a une similitude évidemment. Mais ce « As slow as possible » c’est encore autre chose et la preuve de la spécificité de la musique qui a comme « matière » le temps, la durée. L’esthétique musicale a longtemps fonctionné sur la mémoire, aussi la version longue de cette œuvre ne peut pas être juste la même que la courte en (beaucoup) plus long. La mémoire, là, est matérielle, c’est la partition, la relation des « modifications » de la partition par ceux qui en parlent.

Que peut nous apprendre une œuvre pareille ? A quoi nous invite-t-elle à réfléchir ?
Peut-être à la mémoire, et à son devoir. Probablement à l’immensité du temps et à la finitude humaine. Un peu comme ce "silence glacé des espaces infinis", ce vertige dans lequel nous plonge l’espace/ temps des astrophysiciens.
A moins que l’on ne soit touché, au contraire, par l’inanité des œuvres humaines (on pense à ces pins plantés dans les Landes par Louvois, « pour les mâts des voiliers du XXIème siècle »).
En revanche, je ne comprends pas ce que cela apporte à ceux qui se pressent dans cette église à chaque changement de note. Ceux qui y viennent commettent probablement une erreur : l’œuvre n’est pas dans ce qui est produit mais dans l’idée qu’en a eu le compositeur. De la même manière, ceux qui se déplacent pour aller voir un tableau blanc sont des idiots ou des snobs : il suffit de savoir qu’il existe.Tout le monde sait ce qu’est du blanc ou du silence.

Sauf que, paradoxalement, là, il n’est plus question de silence : il faut comprendre que, au contraire, lorsque les notes sont jouées c’est pour des années, sans interruption. Tant que l’on en reste à trois sons sur des petits tuyaux, seuls les voisins immédiats peuvent trouver cela un tantinet fatiguant ; mais lorsque, comme cela est prévu, cet orgue sera équipé de tuyaux allant jusqu’à cinq mètres de long et qu’il crachera nuit et jour le tonnerre, il est peu probable que les habitants de cette petite ville le supporteront longtemps...